Livre troisième - De la vie intérieure p. 43
1.Des entretiens intérieurs de Jésus-Christ avec l'âme fidèle
2.La vérité parle au dedans de nous sans aucun bruit de paroles
3.Qu'il faut écouter la parole de Dieu avec humilité, et que plusieurs ne la reçoivent pas
comme ils le devraient
4.Qu'il faut marcher en présence de Dieu dans la vérité et l'humilité
5.Des merveilleux effets de l'amour divin
6.De l'épreuve du véritable amour
7.Qu'il faut cacher humblement les grâces que Dieu nous fait
8.Qu'il faut s'anéantir soi-même devant Dieu
9.Qu'il faut rapporter tout à Dieu comme à notre dernière fin
10.Qu'il est doux de servir Dieu et de mépriser le monde
11.Qu'il faut examiner et modérer les désirs du coeur
12.Qu'il faut s'exercer à la patience, et lutter contre ses passions
13.Qu'il faut obéir humblement, à l'exemple de Jésus-Christ
14.Qu'il faut considérer les secrets jugements de Dieu pour ne pas s'enorgueillir du bien
qu'on fait
15.De ce que nous devons être et faire quand il s'élève quelque désir en nous
16.Qu'on ne doit chercher qu'en Dieu la vraie consolation
17.Qu'il faut remettre à Dieu le soin de ce qui nous regarde
18.Qu'il faut souffrir avec constance les misères de cette vie à l'exemple de Jésus-Christ
19.De la souffrance des injures, et de la véritable patience
20.De l'aveu de son infirmité, et des misères de cette vie
21.Qu'il faut établir son repos en Dieu, plutôt que dans tous les autres biens
22.Du souvenir des bienfaits de Dieu
23.De quatre choses importantes pour conserver la paix
24.Qu'il ne faut pas s'enquérir curieusement de la conduite des autres
25.En quoi consiste la vraie paix et le véritable progrès de l'âme
26.De la liberté du coeur, qui s'acquiert plutôt par la prière que par la lecture
27.Que l'amour de soi est le plus grand obstacle qui empêche l'homme de parvenir au
souverain bien
28.Qu'il faut mépriser les jugements humains
29.Comment il faut invoquer et bénir Dieu dans l'affliction
30.Qu'il faut implorer le secours de Dieu, et attendre avec confiance le retour de sa grâce
31.Qu'il faut oublier toutes les créatures pour trouver le Créateur
32.De l'abnégation de soi-même
33.De l'inconstance du coeur, et que nous devons tout rapporter à Dieu comme à notre
dernière fin
34.Qu'on ne saurait goûter que Dieu seul, et qu'on le goûte en toutes choses, quand on
l'aime véritablement
35.Qu'on est toujours, durant cette vie, exposé à la tentation
36.Contre les vains jugements des hommes
37.Qu'il faut renoncer entièrement à soi-même pour obtenir la liberté du coeur
38.Comment il faut se conduire dans les choses extérieures, et recourir à Dieu dans les
périls
39.Qu'il faut éviter l'empressement dans les affaires
40.Que l'homme n'a rien de bon de lui-même, et ne peut se glorifier de rien
41.Du mépris de tous les honneurs du temps
42.Qu'il ne faut pas que notre paix dépende des hommes
43.Contre la vaine science du siècle
44.Qu'il ne faut point s'embarrasser dans les choses extérieures
45.Qu'il ne faut pas croire tout le monde, et qu'il est difficile de garder une sage mesure
dans ses paroles
46.Qu'il faut mettre sa confiance en Dieu, lorsqu'on est assailli de paroles injurieuses
47.Qu'il faut être prêt à souffrir pour la vie éternelle tout ce qu'il y a de plus pénible
48.De l'éternité bienheureuse et des misères de cette vie
49.Du désir de la vie éternelle, et des grands biens promis à ceux qui combattent
courageusement
50.Comment un homme dans l'affliction doit s'abandonner entre les mains de Dieu
51.Qu'il faut s'occuper d'oeuvres extérieures, quand l'âme est fatiguée des exercices
spirituels
52.Que l'homme ne doit pas se juger digne des consolations de Dieu, mais plutôt de
châtiment
53.Que la grâce ne fructifie point en ceux qui ont le goût des choses de la terre
54.Des divers mouvements de la nature et de la grâce
55.De la corruption de la nature, et de l'efficace de la grâce divine
56.Que nous devons nous renoncer nous-mêmes et imiter Jésus-Christ en portant la Croix
57.Qu'on ne doit pas se laisser trop abattre quand on tombe en quelques fautes
58.Qu'il ne faut pas chercher à pénétrer ce qui est au-dessus de nous, ni sonder les secrets
jugements de Dieu
59.Qu'on doit mettre toute son espérance et toute sa confiance en Dieu seul
Livre troisième - De la vie intérieure
1. Des entretiens intérieurs de Jésus-Christ avec l'âme fidèle
1.J'écouterai ce que le Seigneur Dieu dit en moi.
Heureuse l'âme qui entend le Seigneur lui parler intérieurement, et qui reçoit de sa
bouche la parole de consolation !
Heureuses les oreilles toujours attentives à recueillir ce souffle divin, et sourdes au
bruit du monde !
Heureuses, encore une fois, les oreilles qui écoutent non la voix qui retentit au-dehors,
mais la vérité qui enseigne au-dedans !
Heureux les yeux qui, fermés aux choses extérieures, ne contemplent que les
intérieures !
Heureux ceux qui pénètrent les mystères que le coeur recèle, et qui, par des exercices
de chaque jour, tâchent de se préparer de plus en plus à comprendre les secrets du Ciel !
Heureux ceux dont la joie est de s'occuper de Dieu et qui se dégagent de tous les
embarras du siècle !
Considère ces choses, ô mon âme, et ferme la porte de tes sens, afin que tu puisses
entendre ce que le Seigneur ton Dieu dit en toi.
2.Voici ce que dit ton bien-aimé: Je suis votre salut, votre paix et votre vie.
Demeurez près de moi et vous trouverez la paix. Laissez là tout ce qui passe; ne
cherchez que ce qui est éternel.
Que sont toutes les choses du temps, que des séductions vaines ? Et de quoi vous
serviront toutes les créatures si vous êtes abandonné du Créateur ?
Renoncez donc à tout et occupez-vous de plaire à votre Créateur et de lui être fidèle,
afin de parvenir à la vraie béatitude.
2. La vérité parle au dedans de nous sans aucun bruit de paroles
1.Parlez Seigneur, parce que votre serviteur écoute.
Je suis votre serviteur: donnez-moi l'intelligence, afin que je sache vos témoignages.
Inclinez mon coeur aux paroles de votre bouche: qu'elles tombent sur moi comme
une douce rosée.
Les enfants d'Israël disaient autrefois à Moïse:
Parlez-nous et nous vous écouterons; mais que le Seigneur ne nous parle point, de
peur que nous ne mourions.
Ce n'est pas là, Seigneur, ce n'est pas là ma prière: mais au contraire, je vous implore
comme le prophète Samuel, avec un humble désir, disant: Parlez, Seigneur, parce que
votre serviteur écoute.
Que Moïse ne me parle point, ni aucun des prophètes, mais vous plutôt, parlez,
Seigneur mon Dieu, vous la lumière de tous les prophètes et l'esprit qui les inspirait.
Sans eux, vous pouvez seul pénétrer toute mon âme de votre vérité; et sans vous ils ne
pourraient rien.
2.Ils peuvent prononcer des paroles, mais non les rendre efficaces.
Leur langage est sublime; mais si vous vous taisez, il n'échauffe point le coeur.
Ils exposent la lettre, mais vous en découvrez le sens.
Ils proposent les mystères, mais vous rompez le sceau qui en dérobait l'intelligence.
Ils publient vos commandements, mais vous aidez à les accomplir.
Ils montrent la voie, mais vous donnez des forces pour marcher.
Ils n'agissent qu'au-dehors, mais vous éclairez et instruisez les coeurs.
Ils arrosent extérieurement, mais vous donnez la fécondité.
Leurs paroles frappent l'oreille, mais vous ouvrez l'intelligence.
3.Que Moïse donc ne me parle point; mais vous, Seigneur, mon Dieu, éternelle vérité !
parlez-moi, de peur que je ne meure, et que je n'écoute sans fruit, si, averti seulement
au-dehors, je ne suis point intérieurement embrasé; de peur que je ne trouve ma
condamnation dans votre parole, entendue sans être accomplie, connue sans être aimée,
crue sans être observée.
Parlez-moi donc, Seigneur, parce que votre serviteur écoute, vous avez les paroles de
la vie éternelle.
Parlez-moi pour consoler un peu mon âme, pour m'apprendre à réformer ma vie,
parlez-moi pour la louange, la gloire, l'honneur éternel de votre nom.
3. Qu'il faut écouter la parole de Dieu avec humilité, et que plusieurs ne
la reçoivent pas comme ils le devraient
1.Jésus-Christ: Mon fils, écoutez mes paroles, paroles pleines de douceur, et qui
surpassent toute la science des philosophes et des sages du monde.
Mes paroles sont esprit et vie, et l'on n'en doit pas juger par le sens humain.
Il ne faut pas en tirer une vaine complaisance, mais les écouter en silence et les recevoir
avec une humilité profonde et un ardent amour.
2.Le fidèle: Et j'ai dit: Heureux celui que vous instruisez, Seigneur, et à qui vous
enseignez votre loi, afin de lui adoucir les jours mauvais, et de ne pas le laisser sans
consolation sur la terre.
3.Jésus-Christ: C'est moi qui ai, dès le commencement, instruit les prophètes, dit le
Seigneur, et jusqu'à présent même je ne cesse point de parler à tous; mais plusieurs sont
endurcis et sourds à ma voix.
Le plus grand nombre écoute le monde de préférence à Dieu; ils aiment mieux suivre
les désirs de la chair que d'obéir à la volonté divine.
Le monde promet peu de chose et des choses qui passent, et on le sert avec une grande
ardeur; je promets des biens immenses, éternels, et le coeur des hommes reste froid.
Qui me sert et m'obéit en toute chose, avec autant de soin qu'on sert le monde et les
maîtres du monde ?
Rougis, Sidon, dit la mer, et si tu en demandes la cause, écoute, voici pourquoi:
Pour un petit avantage, on entreprend une longue route; et pour la vie éternelle, à peine
en trouve-t'on qui veuillent faire un pas.
On recherche le plus vil gain: on plaide honteusement quelquefois pour une pièce de
monnaie; sur une légère promesse et pour une chose de rien, on ne craint pas de se
fatiguer le jour et la nuit.
4.Mais, ô honte ! pour un bien immuable, pour une récompense infinie, pour un bonheur
suprême et une gloire sans fin, on ne saurait se résoudre à la moindre fatigue.
Serviteur paresseux et toujours murmurant, rougis donc de ce qu'il y ait des hommes
plus ardents à leur perte que tu ne l'es à te sauver, et pour qui la vanité a plus d'attrait
que n'en a pour toi la vérité.
Et cependant ils sont souvent abusés par leurs espérances; tandis que ma promesse ne
trompe point, et que jamais je ne me refuse à celui qui se confie en moi.
Ce que j'ai promis, je le donnerai; ce que j'ai dit, je l'accomplirai, si toutefois l'on
demeure avec fidélité dans mon amour jusqu'à la fin.
C'est moi qui récompense les bons, et qui éprouve fortement les justes.
5.Gravez mes paroles dans votre coeur et méditez-les profondément: car à l'heure de la
tentation, elles vous seront très nécessaires.
Ce que vous n'entendez pas en le lisant, vous le comprendrez au jour de ma visite.
J'ai coutume de visiter mes élus de deux manières: par la tentation et la consolation.
Et tous les jours, je leur donne deux leçons: l'une en les reprenant de leurs défauts,
l'autre en les exhortant à avancer dans la vertu.
Celui qui reçoit ma parole, et qui la méprise, sera jugé par elle au dernier jour.
6.Prière pour demander la grâce de la dévotion
Le fidèle: Seigneur mon Dieu, vous êtes tout mon bien: et que suis-je pour oser vous
parler ?
Je suis le plus pauvre de vos serviteurs, et un abject ver de terre, beaucoup plus pauvre
et plus méprisable que je ne sais et que je n'ose dire.
Souvenez-vous cependant, Seigneur, que je ne suis rien, que je n'ai rien, que je ne puis
rien.
Vous êtes seul bon, juste et saint; vous pouvez tout, vous donnez tout, vous remplissez
tout, hors le pécheur que vous laissez vide.
Souvenez-vous de vos miséricordes, et remplissez mon coeur de votre grâce, vous qui
ne voulez point qu'aucun de vos ouvrages demeure vide.
7.Comment puis-je, en cette misérable vie, porter le poids de moi-même, si votre
miséricorde et votre grâce ne me fortifient ?
Ne détournez pas de moi votre visage; ne différez pas à me visiter: ne me retirez point
votre consolation, de peur que, privée de vous, mon âme ne devienne comme une terre
sans eau.
Seigneur, apprenez-moi à faire votre volonté: apprenez-moi à vivre d'une vie humble et
digne de vous.
Car vous êtes ma sagesse, vous me connaissez dans la vérité, et vous m'avez connu
avant que je fusse au monde, et avant même que le monde fût.
4. Qu'il faut marcher en présence de Dieu dans la vérité et l'humilité
1.Jésus-Christ: Mon fils, marchez devant moi dans la vérité, et cherchez-moi toujours
dans la simplicité de votre coeur.
Celui qui marche devant moi dans la vérité ne craindra nulle attaque, la vérité le
délivrera des calomnies et des séductions des méchants.
Si la vérité vous délivre, vous serez vraiment libre, et peu vous importeront les vains
discours des hommes.
2.Le fidèle: Seigneur, il est vrai: qu'il me soit fait, de grâce, selon votre parole. Que votre
vérité m'instruise, qu'elle me défende, qu'elle me conserve jusqu'à la fin dans la voie du
salut.
Qu'elle me délivre de tout désir mauvais, de toute affection déréglée, et je marcherai
devant vous dans une grande liberté de coeur.
3.Jésus-Christ: La vérité, c'est moi; je vous enseignerai ce qui est bon, ce qui m'est
agréable.
Rappelez-vous vos péchés avec une grande douleur et un profond regret, et ne pensez
jamais être quelque chose à cause du bien que vous faites.
Car, sans la vérité, vous n'êtes qu'un pécheur, sujet à beaucoup de passions et engagé
dans leurs liens.
De vous-même vous tendez toujours au néant; un rien vous ébranle, un rien vous abat,
un rien vous trouble et vous décourage.
Qu'avez-vous donc dont vous puissiez vous glorifier ? et que de motifs, au contraire,
pour vous mépriser vous-même ! car vous êtes beaucoup plus infirme que vous ne
sauriez le comprendre.
4.Que rien de ce que vous faites ne vous paraisse donc quelque chose de grand.
Mais plutôt qu'à vos yeux rien ne soit grand, précieux, admirable, élevé, digne d'être
estimé, loué, recherché, que ce qui est éternel.
Aimez par-dessus toutes choses l'éternelle vérité, et n'ayez jamais que du mépris pour
votre extrême bassesse.
N'appréhendez rien tant, ne blâmez et ne fuyez rien tant que vos péchés et vos vices. Ils
doivent vous affliger plus que toutes les pertes du monde.
Il y en a qui ne marchent pas devant moi avec un coeur sincère; mais guidés par une
certaine curiosité présomptueuse, ils veulent découvrir mes secrets et pénétrer les
profondeurs de Dieu, tandis qu'ils négligent de s'occuper d'eux-mêmes et de leur salut.
Ceux-là tombent souvent, à cause de leur orgueil et de leur curiosité, en de grandes
fautes, parce que je m'oppose à eux.
5.Craignez les jugements de Dieu: redoutez la colère du Tout-Puissant; ne scrutez point
les oeuvres du Très-Haut; mais sondez vos iniquités, le mal que tant de fois vous avez
commis, le bien que vous avez négligé.
Plusieurs mettent toute leur dévotion en des livres, d'autres en des images, d'autres en
des signes et des marques extérieures.
Quelques-uns m'ont souvent dans la bouche, mais peu dans le coeur.
Il en est d'autres qui, éclairés et purifiés intérieurement, ne cessent d'aspirer aux biens
éternels, ont à dégoût les entretiens de la terre, et ne s'assujettissent qu'à regret aux
nécessités de la nature. Ceux-là entendent ce que l'esprit de vérité dit en eux.
Car il leur apprend à mépriser ce qui passe, à aimer ce qui dure éternellement, à oublier
le monde, et à désirer le ciel, le jour et la nuit.
5. Des merveilleux effets de l'amour divin
1.Le fidèle: Je vous bénis, Père céleste, Père de Jésus-Christ, mon Seigneur, parce que
vous avez daigné vous souvenir de moi, pauvre créature.
Ô Père des miséricordes et Dieu de toute consolation, je vous rends grâce de ce que,
tout indigne que j'en suis, vous voulez bien cependant quelquefois me consoler.
Je vous bénis à jamais, et je vous glorifie avec votre Fils unique et l'Esprit consolateur,
dans les siècles des siècles.
Ô Seigneur mon Dieu, saint objet de mon amour ! quand vous descendrez dans mon
coeur, toutes mes entrailles tressailliront de joie.
Vous êtes la gloire et la joie de mon coeur.
Vous êtes mon espérance et mon refuge au jour de la tribulation.
2.Mais parce que mon amour est encore faible, et ma vertu chancelante, j'ai besoin d'être
fortifié et consolé par vous; visitez-moi donc souvent, et dirigez-moi par vos divines
instructions.
Délivrez-moi des passions mauvaises, et retranchez de mon coeur toutes ces affections
déréglées, afin que, guéri et purifié intérieurement, je devienne propre à vous aimer,
fort pour souffrir, ferme pour persévérer.
3.C'est quelque chose de grand que l'amour et un bien au-dessus de tous les biens. Seul il
rend léger ce qui est pesant et fait qu'on peut supporter avec une âme égale toutes les
vicissitudes de la vie.
Il porte son fardeau sans en sentir le poids et rend doux ce qu'il y a de plus amer.
L'amour de Jésus-Christ est généreux; il fait entreprendre de grandes choses et il excite
toujours à ce qu'il y a de plus parfait.
L'amour aspire à s'élever et ne se laisse arrêter par rien de terrestre.
L'amour veut être libre et dégagé de toute affection du monde, afin que ses regards
pénètrent jusqu'à Dieu sans obstacle, afin qu'il ne soit ni retardé par les biens, ni abattu
par les maux du temps.
Rien n'est plus doux que l'amour; rien n'est plus fort, plus élevé, plus étendu, plus
délicieux; il n'est rien de plus parfait ni de meilleur au ciel et sur la terre, parce que
l'amour est né de Dieu, au-dessus de toutes les créatures.
4.Celui qui aime, court, vole; il est dans la joie, il est libre, et rien ne l'arrête.
Il donne tout pour posséder tout, et il possède tout en toutes choses, parce qu'au-dessus
de toutes choses il se repose dans le seul Être souverain, de qui tout bien procède et
découle.
Il ne regarde pas aux dons, mais il s'élève au-dessus de tous les biens, jusqu'à Celui qui
donne.
L'amour souvent ne connaît point de mesure, mais, comme l'eau qui bouillonne, il
déborde de toutes parts.
Rien ne lui pèse, rien ne lui coûte, il tente plus qu'il ne peut, jamais il ne prétexte
l'impossibilité, parce qu'il se croit tout possible et tout permis.
Et à cause de cela il peut tout, et il accomplit beaucoup de choses qui fatiguent et qui
épuisent vainement celui qui n'aime point.
5.L'amour veille sans cesse; dans le sommeil même il ne dort point.
Aucune fatigue ne le lasse, aucuns liens ne l'appesantissent, aucunes frayeurs ne le
troublent; mais tel qu'une flamme vive et pénétrante, il s'élance vers le ciel et s'ouvre
un sûr passage à travers tous les obstacles.
Si quelqu'un aime, il entend ce que dit cette voix.
L'ardeur même d'une âme embrasée s'élève jusqu'à Dieu comme un grand cri: Mon
Dieu ! mon amour ! vous êtes tout à moi, et je suis tout à vous.
6.Dilatez-moi dans l'amour afin que j'apprenne à goûter au fond de mon coeur combien
il est doux d'aimer, et de se fondre et de se perdre dans l'amour.
Que l'amour me ravisse et m'élève au-dessus de moi-même, par la vivacité de ses
transports.
Que je chante le cantique de l'amour, que je vous suive, ô mon bien-aimé, jusque dans
les hauteurs de votre gloire, que toutes les forces de mon âme s'épuisent à vous louer,
et qu'elle défaille de joie et d'amour.
Que je vous aime plus que moi, que je ne m'aime moi-même que pour vous, et que
j'aime en vous tous ceux qui vous aiment véritablement, ainsi que l'ordonne la loi de
l'amour, que nous découvrons dans votre lumière.
7.L'amour est prompt, sincère, pieux, doux, prudent, fort, patient, fidèle, constant,
magnanime, et il ne se recherche jamais; car dès qu'on commence à se rechercher
soi-même, à l'instant on cesse d'aimer.
L'amour est circonspect, humble et droit, sans mollesse, sans légèreté, il ne s'occupe
point de choses vaines, il est sobre, chaste, ferme, tranquille, et toujours attentif à
veiller sur les sens.
L'amour est obéissant et soumis aux supérieurs; il est vil et méprisable à ses yeux.
Dévoué à Dieu sans réserve, et toujours plein de reconnaissance, il ne cesse point de se
confier en lui, d'espérer en lui, lors même qu'il semble en être délaissé, parce qu'on ne
vit point sans douleur dans l'amour.
8.Qui n'est pas prêt à tout souffrir et à s'abandonner entièrement à la volonté de son
bien-aimé, ne sait pas ce que c'est que d'aimer.
Il faut que celui qui aime embrasse avec joie tout ce qu'il y a de plus dur et de plus
amer, pour son bien-aimé, et qu'aucune traverse ne le détache de lui.
6. De l'épreuve du véritable amour
1.Jésus-Christ: Mon fils, votre amour n'est encore ni assez fort ni assez éclairé.
Le fidèle: Pourquoi, Seigneur ?
Jésus-Christ: Parce qu'à la moindre contrariété, vous laissez là l'oeuvre commencée, et
que vous recherchez trop avidement les consolations.
Celui qui aime fortement demeure ferme dans la tentation, et ne cède point aux
suggestions artificieuses de l'ennemi. Dans le mauvais comme dans le bon succès, son
coeur est également à moi.
2.Celui dont l'amour est éclairé considère moins le don de celui qui aime que l'amour de
celui qui donne.
L'affection le touche plus que le bienfait et il préfère son bien-aimé à tout ce qu'il
reçoit de lui.
Celui qui m'aime d'un amour généreux ne se repose pas dans mes dons, mais en moi
par-dessus tous mes dons.
Ne croyez pas tout perdu cependant s'il vous arrive de sentir pour moi ou pour mes
saints moins d'amour que vous ne voudriez.
Cet amour tendre et doux que vous éprouvez quelquefois est l'effet de la présence de la
grâce et une sorte d'avant-goût de la patrie céleste; il n'y faut pas chercher trop d'appui
parce qu'il passe comme il est venu.
Mais combattre les mouvements déréglés de l'âme et mépriser les sollicitations du
démon, c'est un grand sujet de mérite et la marque d'une solide vertu.
3.Ne vous troublez donc point des fantômes, quels qu'ils soient, qui obsèdent votre
imagination.
Conservez une résolution ferme et une intention droite devant Dieu.
Ce n'est point une illusion si quelquefois vous êtes soudain ravi en extase et qu'aussitôt
vous retombiez dans les pensées misérables qui occupent d'ordinaire votre coeur.
Car vous souffrez alors plus que vous n'agissez; et tant qu'elles vous déplaisent et que
vous y résistez, c'est un mérite et non pas une chute.
4.Sachez que l'antique ennemi s'efforce d'étouffer vos bons désirs et de vous éloigner de
tout pieux exercice, du culte des saints, de la méditation de mes douleurs et de ma
mort, du souvenir si utile de vos péchés, de l'attention de veiller sur votre coeur, et du
ferme propos d'avancer dans la vertu.
Il vous suggère mille pensées mauvaises pour vous causer du trouble et de l'ennui,
pour vous détourner de la prière et des lectures saintes.
Une humble confession lui déplaît et, s'il pouvait, il vous éloignerait tout à fait de la
communion.
Ne le craignez point et n'ayez de lui aucune appréhension, quoiqu'il vous tende souvent
des pièges pour vous surprendre.
Rejetez sur lui seul les pensées criminelles et honteuses qu'il vous inspire. Dites-lui:
Va, esprit immonde; rougis, malheureux; il faut que tu sois étrangement pervers pour
me tenir un pareil langage.
Retire-toi de moi, détestable séducteur, tu n'auras jamais en moi aucune part; mais
Jésus sera près de moi comme un guerrier formidable, et tu demeureras confondu.
J'aime mieux mourir et souffrir tous les tourments, que de consentir à ce que tu me
proposes.
Tais-toi donc, ne me parle plus; je ne t'écouterai pas davantage, quoi que tu fasses
pour m'inquiéter. Le Seigneur est ma lumière et mon salut, que craindrais-je ?
Quand une armée se rangerait en bataille contre moi, mon coeur ne craindrait pas.
Le Seigneur est mon aide et mon Rédempteur.
5.Combattez comme un généreux soldat, et si quelquefois vous succombez par fragilité,
reprenez un courage plus grand dans l'espérance d'être soutenu par une grâce plus forte;
et gardez-vous surtout de la vaine complaisance et de l'orgueil.
C'est ainsi que plusieurs s'égarent et tombent dans un aveuglement presque incurable.
Que la chute de ces superbes qui présumaient follement d'eux-mêmes vous soit une
leçon continuelle de vigilance et d'humilité.
7. Qu'il faut cacher humblement les grâces que Dieu nous fait
1.Jésus-Christ: Mon fils, lorsque la grâce vous inspire des mouvements de piété, il est
meilleur pour vous et plus sûr de tenir cette grâce cachée, de ne vous en point élever,
d'en parler peu et de ne pas vous exagérer sa grandeur; mais plutôt de vous mépriser
vous-même et de craindre une faveur dont vous êtes indigne.
Il ne faut pas s'attacher trop à un sentiment qui bientôt peut se changer en un sentiment
contraire.
Quand la grâce vous est donnée, songez combien vous êtes pauvre et misérable sans la
grâce.
Le progrès de la vie spirituelle ne consiste pas seulement à jouir des consolations de la
grâce, mais à en supporter la privation avec humilité, avec abnégation, avec patience, de
sorte qu'alors on ne se relâche point dans l'exercice de la prière, et qu'on n'abandonne
aucune de ses pratiques accoutumées.
Faites, au contraire, tout ce qui est en vous le mieux que vous pourrez, selon vos
lumières, et ne vous négligez pas entièrement vous-même à cause de la sécheresse et de
l'angoisse que vous sentez en votre âme.
2.Car il y en a beaucoup qui, au temps de l'épreuve, tombent aussitôt dans l'impatience et
le découragement.
Cependant la voie de l'homme n'est pas toujours en son pouvoir. C'est à Dieu de
consoler et de donner quand il veut, autant qu'il veut, et à qui il veut, comme il lui
plaît, et non davantage.
Des indiscrets se sont perdus par la grâce même de la dévotion, parce qu'ils ont voulu
faire plus qu'ils ne pouvaient, ne mesurant point leur faiblesse, mais suivant plutôt
l'impétuosité de leur coeur que le jugement de la raison.
Et parce qu'ils ont aspiré, dans leur présomption, à un état plus élevé que celui où Dieu
les voulait, ils ont promptement perdu la grâce.
Ils avaient placé leur demeure dans le ciel, et tout à coup on les a vus pauvres et
délaissés dans leur misère, afin que par l'humiliation et le dénuement ils apprissent à ne
plus tenter de s'élever sur leurs propres ailes, mais à se réfugier sous les miennes.
Ceux qui sont encore nouveaux et sans expérience dans les voies de Dieu peuvent
aisément s'égarer et se briser sur les écueils, s'ils ne se laissent conduire par des
personnes prudentes.
3.Que s'ils veulent suivre leur sentiment plutôt que de croire à l'expérience des autres, le
résultat leur en sera funeste, si toutefois ils s'obstinent dans leur propre sens.
Rarement ceux qui sont sages à leurs yeux se laissent humblement conduire par les
autres.
Il vaut mieux être humble, avec un esprit et des lumières bornés, que de posséder des
trésors de science et de se complaire en soi-même.
Il vaut mieux pour vous avoir peu, que beaucoup dont vous pourriez vous enorgueillir.
Celui-là manque de prudence qui se livre tout entier à la joie, oubliant son indigence
passée, et cette chaste crainte du Seigneur qui appréhende de perdre la grâce reçue.
C'est aussi manquer de vertu que de se laisser aller à un découragement excessif au
temps de l'adversité et de l'épreuve, et d'avoir des pensées et des sentiments indignes de
la confiance qu'on me doit.
4.Celui qui, durant la paix, a trop de sécurité, se trouve souvent pendant la guerre le plus
timide et le plus lâche.
Si ne présumant jamais de vous-même, vous saviez demeurer toujours humble,
modérer et régler les mouvements de votre esprit, vous ne tomberiez pas si vite dans le
péril et le péché.
C'est une pratique sage que de penser, durant la ferveur, à ce qu'on sera dans la
privation de la lumière.
Et quand vous en êtes en effet privé, songez qu'elle peut revenir et que je ne vous l'ai
retirée pour un temps qu'en vue de ma gloire et pour exciter votre vigilance.
Souvent une telle épreuve vous est plus utile que si tout vous succédait constamment
selon vos désirs.
Car pour juger du mérite, on ne doit pas regarder si quelqu'un a beaucoup de visions ou
de consolations, ou s'il est habile dans l'Ecriture sainte, ou s'il occupe un rang élevé,
mais s'il est affermi dans la véritable humilité et rempli de la charité divine; s'il cherche
en tout et toujours uniquement la gloire de Dieu; s'il est bien convaincu de son néant;
s'il a pour lui-même un mépris sincère, et s'il se réjouit plus d'être méprisé des autres et
humilié par eux, que d'en être honoré.
8. Qu'il faut s'anéantir soi-même devant Dieu
1.Le fidèle: Je parlerai au Seigneur mon Dieu, bien que je ne sois que cendre et
poussière. Si je me crois quelque chose de plus, voilà que vous vous élevez contre
moi, et mes iniquités rendent un témoignage vrai et que je ne puis contredire.
Mais si je m'abaisse, si je m'anéantis, et si je me dépouille de toute estime pour
moi-même, et que je rentre dans la poussière dont j'ai été formé, votre grâce
s'approchera de moi et votre lumière sera près de mon coeur; alors tout sentiment
d'estime, même le plus léger, que je pourrais concevoir de moi disparaîtra pour jamais
dans l'abîme de mon néant.
Là vous me montrez à moi-même, vous me faites voir ce que je suis, ce que j'ai été,
jusqu'où je suis descendu: car je ne suis rien, et je ne le savais pas.
Si vous me laissez à moi-même, que suis-je ? Rien qu'infirmité; mais dès que vous
jetez un regard sur moi, à l'instant je deviens fort et je suis rempli d'une joie nouvelle.
Et certes cela me confond d'étonnement que vous me releviez ainsi tout d'un coup et
me preniez avec tant de bonté entre vos bras, moi toujours entraîné par mon propre
poids vers la terre.
2.C'est votre amour qui opère cette merveille, qui me prévient gratuitement, qui ne se
lasse point de me secourir dans les nécessités, qui me préserve des plus grands périls et,
à vrai dire, me délivre de maux innombrables.
Car je me suis perdu en m'aimant d'un amour déréglé; mais en ne cherchant que vous,
en n'aimant que vous, je vous ai trouvé et je me suis retrouvé moi-même, et l'amour
m'a fait rentrer plus avant dans mon néant.
Ô Dieu plein de tendresse ! vous faites pour moi beaucoup plus que je ne mérite, ou
plus que je n'oserais espérer ou demander.
3.Soyez béni, mon Dieu, de ce que tout indigne que je suis de recevoir de vous aucune
grâce, cependant votre bonté généreuse et infinie ne cesse de faire du bien même aux
ingrats et à ceux qui sont le plus éloignés de vous.
Ramenez-nous à vous, afin que nous soyons reconnaissants, humbles, fervents, parce
que vous êtes notre salut, notre vertu et notre force.
9. Qu'il faut rapporter tout à Dieu comme à notre dernière fin
1.Jésus-Christ: Mon fils, je dois être votre fin suprême et dernière, si véritablement vous
désirez être heureux.
Cette vue purifiera vos affections, qui s'abaissent trop souvent jusqu'à vous et aux
créatures.
Car si vous vous recherchez en quelque chose, aussitôt vous tombez dans la langueur
et la sécheresse.
Rapportez donc principalement tout à moi, parce que c'est moi qui vous ai tout donné.
Considérez chaque bien comme découlant du souverain bien, et songez que dès lors ils
doivent tous remonter à moi comme à leur origine.
2.En moi comme dans une source intarissable, le petit et le grand, le pauvre et le riche
puisent l'eau vive, et ceux qui me servent volontairement et de coeur recevront grâce
sur grâce.
Mais celui qui cherchera sa gloire hors de moi, ou sa jouissance dans un autre bien que
moi, sa joie ne sera ni vraie ni solide, et son coeur, toujours à la gêne, toujours à
l'étroit, ne trouvera que des angoisses.
Ne vous attribuez donc aucun bien, et n'attribuez à nul homme sa vertu; mais rendez
tout à Dieu, sans qui l'homme n'a rien.
C'est moi qui vous ai tout donné et je veux que vous vous donniez à moi tout entier,
j'exige avec une extrême rigueur les actions de grâce qui me sont dues.
3.Ceci est la vérité qui dissipe la vanité de la gloire.
Là où pénètrent la grâce céleste et la vraie charité, il n'y a plus de place pour
l'amour-propre ni pour l'envie, qui torturent le coeur.
Car l'amour divin subjugue tout et agrandit toutes les forces de l'âme.
Si vous écoutez la sagesse, vous ne vous réjouirez qu'en moi, vous n'espérerez qu'en
moi, parce que nul n'est bon que Dieu seul, à qui, en tout et par-dessus tout, est due à
jamais la louange et la bénédiction.
10. Qu'il est doux de servir Dieu et de mépriser le monde
1.Le fidèle: Je vous parlerai encore, Seigneur, et je ne me tairai point. Je dirai à mon
Dieu, mon Seigneur et mon Roi, assis dans les hauteurs des cieux:
Oh ! quelle abondance de douceur vous avez réservée pour ceux qui vous craignent.
Et qu'est-ce donc pour ceux qui vous aiment, pour ceux qui vous servent de tout leur
coeur ?
Elles sont vraiment ineffables, les délices dont vous inondez ceux qui vous aiment,
quand leur âme vous contemple.
Vous m'avez montré principalement en ceci toute la tendresse de votre amour; je n'étais
pas, et vous m'avez créé; j'errais loin de vous, vous m'avez ramené pour vous servir, et
vous m'avez commandé de vous aimer.
2.Ô source d'amour éternel, que dirai-je de vous ?
Comment pourrai-je vous oublier, vous qui avez daigné vous souvenir de moi lorsque,
déjà épuisé, consumé, je penchais vers la mort ?
Votre miséricorde envers votre serviteur a passé toute espérance, et vous avez répandu
sur lui votre grâce et votre amour bien au-delà de tout ce qu'il pouvait mériter.
Que vous rendrai-je pour une telle faveur ? car il n'est pas donné à tous de tout quitter,
de renoncer au siècle pour embrasser la vie religieuse.
Est-ce faire beaucoup que de vous servir, vous que doivent servir toutes les créatures ?
Cela doit me sembler peu de chose; mais ce qui me paraît grand et merveilleux, c'est
que vous daigniez agréer le service d'une créature si pauvre et si misérable, et
l'admettre parmi les serviteurs que vous aimez.
3.Tout ce que j'ai, tout ce que je puis consacrer à votre service est à vous.
Et néanmoins, prenant pour ainsi dire ma place, vous me servez plus que moi-même je
ne vous sers.
Voilà que le ciel et la terre, que vous avez créés pour le service de l'homme, sont
devant vous, et chaque jour ils exécutent tout ce que vous leur avez commandé.
C'est peu encore; vous avez préparé pour l'homme le ministère même des anges.
Mais ce qui surpasse tout, vous avez daigné le servir vous-même, et vous avez promis
de vous donner à lui.
4.Que vous rendrai-je pour tant de biens ? Ah ! si je pouvais vous servir tous les jours de
ma vie ! si je pouvais même un seul jour vous servir dignement !
Il est bien vrai que vous êtes digne d'être servi universellement, digne de tout honneur
et d'une louange éternelle.
Vous êtes vraiment mon Seigneur et je suis votre pauvre serviteur, qui doit vous servir
de toutes mes forces et ne me lasser jamais de vous louer. Je le veux ainsi, je le désire
ainsi; daignez suppléer vous-même à tout ce qui me manque.
5.C'est un grand honneur, une grande gloire de vous servir, et de mépriser tout à cause de
vous.
Car ils recevront des grâces abondantes, ceux qui se courbent sous votre joug très saint.
Ils seront abreuvés de la délectable consolation de l'Esprit-Saint, ceux qui pour votre
amour auront rejeté tous les plaisirs des sens.
Ils jouiront d'une grande liberté d'esprit, ceux qui pour la gloire de votre nom seront
entrés dans la voie étroite et auront renoncé à toutes les sollicitudes du monde.
6.Ô aimable et douce servitude de Dieu, dans laquelle l'homme retrouve la vraie liberté
et la sainteté !
Ô saint assujettissement de la vie religieuse qui rend l'homme agréable à Dieu, égal aux
anges, terrible aux démons, respectable à tous les fidèles !
Ô esclavage digne à jamais d'être désiré, embrassé, puisqu'il nous mérite le souverain
bien et nous assure une joie éternelle.
11. Qu'il faut examiner et modérer les désirs du coeur
1.Jésus-Christ: Mon fils, il faut que vous appreniez beaucoup de choses que vous ne
savez pas encore assez.
2.Le fidèle: Et quoi, Seigneur ?
3.Jésus-Christ: Vous devez soumettre entièrement vos désirs à ma volonté, ne point vous
aimer vous-même, et ne rechercher en tout que ce qui me plaît.
Souvent vos désirs s'enflamment et vous emportent impétueusement, mais considérez
si cette ardeur a ma gloire pour motif ou votre intérêt propre.
Si c'est moi que vous avez en vue, vous serez content, quoi que j'ordonne; mais si
quelque secrète recherche de vous-même se cache au fond de votre coeur, voilà ce qui
vous abat et vous trouble.
4.Prenez donc garde de vous trop attacher à des désirs sur lesquels vous ne m'avez point
consulté, de peur qu'ensuite vous ne veniez à vous repentir, ou que vous n'éprouviez du
dégoût pour ce qui vous avait plu d'abord, et que vous aviez cru le meilleur.
Car tout mouvement qui paraît bon ne doit pas être aussitôt suivi; de même qu'on ne
doit pas non plus céder sur-le-champ à ses répugnances.
Quelquefois il est à propos de modérer le zèle le plus saint et les meilleurs désirs, de
peur qu'ils ne préoccupent et ne distraient votre esprit, ou qu'en les suivant
indiscrètement vous ne causiez du scandale aux autres; ou qu'enfin l'opposition que
vous y trouverez ne vous jette vous-même dans le trouble et dans l'abattement.
5.Il faut aussi quelquefois user de violence et résister aux convoitises des sens avec une
grande force, sans prendre garde à ce que veut la chair et à ce qu'elle ne veut pas; et
travailler surtout à la soumettre à l'esprit malgré elle.
Il faut la châtier et l'asservir jusqu'à ce que, prête à tout, elle ait appris à se contenter de
peu, à aimer les choses simples et à ne jamais se plaindre de rien.
12. Qu'il faut s'exercer à la patience, et lutter contre ses passions
1.Le fidèle: Seigneur mon Dieu, je vois combien la patience m'est nécessaire; car cette
vie est pleine de contradictions.
Elle ne peut jamais être exempte de douleur et de guerre, quoi que je fasse pour avoir
la paix.
2.Jésus-Christ: Oui, mon fils; mais je ne veux pas que vous cherchiez une paix telle que
vous n'ayez ni tentations à vaincre, ni contrariétés à souffrir.
Croyez au contraire avoir trouvé la paix lorsque vous serez exercé par beaucoup de
tribulations et éprouvé par beaucoup de traverses.
Si vous dites que vous ne pouvez supporter tant de souffrances, comment
supporterez-vous le feu du purgatoire ?
De deux maux il faut choisir le moindre; afin donc d'éviter des supplices éternels,
efforcez-vous d'endurer pour Dieu, avec patience, les maux présents.
Pensez-vous que les hommes du siècle n'aient rien ou que peu de choses à souffrir ?
C'est ce que vous ne trouverez pas, même en ceux qui semblent environnés de plus de
délices.
3.Mais ils ont, dites-vous, des plaisirs en abondance; ils suivent toutes leurs volontés et
ainsi ils sentent peu le poids de leurs maux.
Soit, je veux qu'ils aient tout ce qu'ils désirent; combien cela durera-t'il ?
Voilà que les riches du siècle s'évanouiront comme la fumée, et il ne restera pas même
un souvenir de leurs joies passées.
Et durant leur vie même, ils ne s'y reposent pas sans amertume, sans ennui et sans
crainte.
Car souvent, là même où ils se promettaient la joie, ils rencontrent le châtiment et la
douleur, et avec justice, puisqu'il est juste que l'amertume et l'ignominie accompagnent
les plaisirs qu'ils cherchent dans le désordre.
4.Oh ! que tous ces plaisirs sont courts, qu'ils sont faux, criminels, honteux !
Et cependant des malheureux, enivrés et aveuglés, ne le comprennent point; mais
semblables à des animaux sans raison, ils exposent leur âme à la mort pour quelques
jouissances misérables dans une vie qui va finir.
Pour vous, mon fils, ne suivez pas vos convoitises, et détachez-vous de votre volonté.
Mettez vos délices dans le Seigneur, et il vous accordera ce que votre coeur demande.
5.Si vous voulez goûter une véritable joie et des consolations plus abondantes, méprisez
toutes les choses du monde, repoussez toutes les joies terrestres; et je vous bénirai, je
verserai sur vous mes inépuisables consolations.
Plus vous renoncerez à celles que donnent les créatures, plus les miennes seront douces
et puissantes.
Mais vous ne les goûterez point sans avoir auparavant ressenti quelque tristesse, sans
avoir travaillé, combattu.
Une mauvaise habitude vous arrêtera; mais vous la vaincrez par une meilleure.
La chair murmurera; mais elle sera contenue par la ferveur de l'esprit.
L'antique serpent vous sollicitera, vous exercera; mais vous le mettrez en fuite par la
prière; et en vous occupant surtout d'un travail utile, vous lui fermerez l'entrée de votre
âme.
13. Qu'il faut obéir humblement, à l'exemple de Jésus-Christ
1.Jésus-Christ: Mon fils, celui qui cherche à se soustraire à l'obéissance se soustrait à la
grâce; et celui qui veut posséder seul quelque chose perd ce qui est à tous.
Quand on ne se soumet pas volontairement et de bon coeur à son supérieur, c'est une
marque que la chair n'est pas encore pleinement assujettie, mais que souvent elle
murmure et se révolte.
Apprenez donc à obéir avec promptitude à vos supérieurs si vous désirez dompter votre
chair.
Car l'ennemi du dehors est bien plus vite vaincu quand l'homme n'a pas la guerre
au-dedans de soi.
L'ennemi le plus terrible et le plus dangereux pour votre âme, c'est vous, lorsque vous
êtes divisé en vous-même.
Il faut que vous appreniez à vous mépriser sincèrement si vous voulez triompher de la
chair et du sang.
L'amour désordonné que vous avez encore pour vous-même, voilà ce qui vous fait
craindre de vous abandonner sans réserve à la volonté des autres.
2.Est-ce donc cependant un si grand effort que toi, poussière et néant, tu te soumettes à
cause de Dieu, lorsque moi le Tout-Puissant, moi le Très-Haut, qui ai tout fait de rien,
je me suis soumis humblement à l'homme à cause de toi ?
Je me suis fait le plus humble et le dernier de tous afin que mon humilité t'apprît à
vaincre ton orgueil.
Poussière, apprends à obéir, apprends à t'humilier, terre et limon, à t'abaisser sous les
pieds de tout le monde.
Apprends à briser ta volonté et à ne refuser aucune dépendance.
3.Enflamme-toi de zèle contre toi-même et ne souffre pas que le moindre orgueil vive en
toi; mais fais-toi si petit et mets-toi si bas que tout le monde puisse marcher sur toi et
te fouler aux pieds comme la boue des places publiques.
Fils du néant, qu'as-tu à te plaindre ? Pécheur couvert d'ignominie, qu'as-tu à répondre,
quelque reproche qu'on t'adresse, toi qui as tant de fois offensé Dieu, tant de fois
mérité l'enfer ?
Mais ma bonté t'a épargné parce que ton âme a été précieuse devant moi; mais je ne t'ai
point délaissé afin que tu connusses mon amour et que mes bienfaits ne cessassent
jamais d'être présents à ton coeur, que tu fusses toujours prêt à te soumettre, à
t'humilier et à souffrir les mépris et la patience.
1.Des entretiens intérieurs de Jésus-Christ avec l'âme fidèle
2.La vérité parle au dedans de nous sans aucun bruit de paroles
3.Qu'il faut écouter la parole de Dieu avec humilité, et que plusieurs ne la reçoivent pas
comme ils le devraient
4.Qu'il faut marcher en présence de Dieu dans la vérité et l'humilité
5.Des merveilleux effets de l'amour divin
6.De l'épreuve du véritable amour
7.Qu'il faut cacher humblement les grâces que Dieu nous fait
8.Qu'il faut s'anéantir soi-même devant Dieu
9.Qu'il faut rapporter tout à Dieu comme à notre dernière fin
10.Qu'il est doux de servir Dieu et de mépriser le monde
11.Qu'il faut examiner et modérer les désirs du coeur
12.Qu'il faut s'exercer à la patience, et lutter contre ses passions
13.Qu'il faut obéir humblement, à l'exemple de Jésus-Christ
14.Qu'il faut considérer les secrets jugements de Dieu pour ne pas s'enorgueillir du bien
qu'on fait
15.De ce que nous devons être et faire quand il s'élève quelque désir en nous
16.Qu'on ne doit chercher qu'en Dieu la vraie consolation
17.Qu'il faut remettre à Dieu le soin de ce qui nous regarde
18.Qu'il faut souffrir avec constance les misères de cette vie à l'exemple de Jésus-Christ
19.De la souffrance des injures, et de la véritable patience
20.De l'aveu de son infirmité, et des misères de cette vie
21.Qu'il faut établir son repos en Dieu, plutôt que dans tous les autres biens
22.Du souvenir des bienfaits de Dieu
23.De quatre choses importantes pour conserver la paix
24.Qu'il ne faut pas s'enquérir curieusement de la conduite des autres
25.En quoi consiste la vraie paix et le véritable progrès de l'âme
26.De la liberté du coeur, qui s'acquiert plutôt par la prière que par la lecture
27.Que l'amour de soi est le plus grand obstacle qui empêche l'homme de parvenir au
souverain bien
28.Qu'il faut mépriser les jugements humains
29.Comment il faut invoquer et bénir Dieu dans l'affliction
30.Qu'il faut implorer le secours de Dieu, et attendre avec confiance le retour de sa grâce
31.Qu'il faut oublier toutes les créatures pour trouver le Créateur
32.De l'abnégation de soi-même
33.De l'inconstance du coeur, et que nous devons tout rapporter à Dieu comme à notre
dernière fin
34.Qu'on ne saurait goûter que Dieu seul, et qu'on le goûte en toutes choses, quand on
l'aime véritablement
35.Qu'on est toujours, durant cette vie, exposé à la tentation
36.Contre les vains jugements des hommes
37.Qu'il faut renoncer entièrement à soi-même pour obtenir la liberté du coeur
38.Comment il faut se conduire dans les choses extérieures, et recourir à Dieu dans les
périls
39.Qu'il faut éviter l'empressement dans les affaires
40.Que l'homme n'a rien de bon de lui-même, et ne peut se glorifier de rien
41.Du mépris de tous les honneurs du temps
42.Qu'il ne faut pas que notre paix dépende des hommes
43.Contre la vaine science du siècle
44.Qu'il ne faut point s'embarrasser dans les choses extérieures
45.Qu'il ne faut pas croire tout le monde, et qu'il est difficile de garder une sage mesure
dans ses paroles
46.Qu'il faut mettre sa confiance en Dieu, lorsqu'on est assailli de paroles injurieuses
47.Qu'il faut être prêt à souffrir pour la vie éternelle tout ce qu'il y a de plus pénible
48.De l'éternité bienheureuse et des misères de cette vie
49.Du désir de la vie éternelle, et des grands biens promis à ceux qui combattent
courageusement
50.Comment un homme dans l'affliction doit s'abandonner entre les mains de Dieu
51.Qu'il faut s'occuper d'oeuvres extérieures, quand l'âme est fatiguée des exercices
spirituels
52.Que l'homme ne doit pas se juger digne des consolations de Dieu, mais plutôt de
châtiment
53.Que la grâce ne fructifie point en ceux qui ont le goût des choses de la terre
54.Des divers mouvements de la nature et de la grâce
55.De la corruption de la nature, et de l'efficace de la grâce divine
56.Que nous devons nous renoncer nous-mêmes et imiter Jésus-Christ en portant la Croix
57.Qu'on ne doit pas se laisser trop abattre quand on tombe en quelques fautes
58.Qu'il ne faut pas chercher à pénétrer ce qui est au-dessus de nous, ni sonder les secrets
jugements de Dieu
59.Qu'on doit mettre toute son espérance et toute sa confiance en Dieu seul
Livre troisième - De la vie intérieure
1. Des entretiens intérieurs de Jésus-Christ avec l'âme fidèle
1.J'écouterai ce que le Seigneur Dieu dit en moi.
Heureuse l'âme qui entend le Seigneur lui parler intérieurement, et qui reçoit de sa
bouche la parole de consolation !
Heureuses les oreilles toujours attentives à recueillir ce souffle divin, et sourdes au
bruit du monde !
Heureuses, encore une fois, les oreilles qui écoutent non la voix qui retentit au-dehors,
mais la vérité qui enseigne au-dedans !
Heureux les yeux qui, fermés aux choses extérieures, ne contemplent que les
intérieures !
Heureux ceux qui pénètrent les mystères que le coeur recèle, et qui, par des exercices
de chaque jour, tâchent de se préparer de plus en plus à comprendre les secrets du Ciel !
Heureux ceux dont la joie est de s'occuper de Dieu et qui se dégagent de tous les
embarras du siècle !
Considère ces choses, ô mon âme, et ferme la porte de tes sens, afin que tu puisses
entendre ce que le Seigneur ton Dieu dit en toi.
2.Voici ce que dit ton bien-aimé: Je suis votre salut, votre paix et votre vie.
Demeurez près de moi et vous trouverez la paix. Laissez là tout ce qui passe; ne
cherchez que ce qui est éternel.
Que sont toutes les choses du temps, que des séductions vaines ? Et de quoi vous
serviront toutes les créatures si vous êtes abandonné du Créateur ?
Renoncez donc à tout et occupez-vous de plaire à votre Créateur et de lui être fidèle,
afin de parvenir à la vraie béatitude.
2. La vérité parle au dedans de nous sans aucun bruit de paroles
1.Parlez Seigneur, parce que votre serviteur écoute.
Je suis votre serviteur: donnez-moi l'intelligence, afin que je sache vos témoignages.
Inclinez mon coeur aux paroles de votre bouche: qu'elles tombent sur moi comme
une douce rosée.
Les enfants d'Israël disaient autrefois à Moïse:
Parlez-nous et nous vous écouterons; mais que le Seigneur ne nous parle point, de
peur que nous ne mourions.
Ce n'est pas là, Seigneur, ce n'est pas là ma prière: mais au contraire, je vous implore
comme le prophète Samuel, avec un humble désir, disant: Parlez, Seigneur, parce que
votre serviteur écoute.
Que Moïse ne me parle point, ni aucun des prophètes, mais vous plutôt, parlez,
Seigneur mon Dieu, vous la lumière de tous les prophètes et l'esprit qui les inspirait.
Sans eux, vous pouvez seul pénétrer toute mon âme de votre vérité; et sans vous ils ne
pourraient rien.
2.Ils peuvent prononcer des paroles, mais non les rendre efficaces.
Leur langage est sublime; mais si vous vous taisez, il n'échauffe point le coeur.
Ils exposent la lettre, mais vous en découvrez le sens.
Ils proposent les mystères, mais vous rompez le sceau qui en dérobait l'intelligence.
Ils publient vos commandements, mais vous aidez à les accomplir.
Ils montrent la voie, mais vous donnez des forces pour marcher.
Ils n'agissent qu'au-dehors, mais vous éclairez et instruisez les coeurs.
Ils arrosent extérieurement, mais vous donnez la fécondité.
Leurs paroles frappent l'oreille, mais vous ouvrez l'intelligence.
3.Que Moïse donc ne me parle point; mais vous, Seigneur, mon Dieu, éternelle vérité !
parlez-moi, de peur que je ne meure, et que je n'écoute sans fruit, si, averti seulement
au-dehors, je ne suis point intérieurement embrasé; de peur que je ne trouve ma
condamnation dans votre parole, entendue sans être accomplie, connue sans être aimée,
crue sans être observée.
Parlez-moi donc, Seigneur, parce que votre serviteur écoute, vous avez les paroles de
la vie éternelle.
Parlez-moi pour consoler un peu mon âme, pour m'apprendre à réformer ma vie,
parlez-moi pour la louange, la gloire, l'honneur éternel de votre nom.
3. Qu'il faut écouter la parole de Dieu avec humilité, et que plusieurs ne
la reçoivent pas comme ils le devraient
1.Jésus-Christ: Mon fils, écoutez mes paroles, paroles pleines de douceur, et qui
surpassent toute la science des philosophes et des sages du monde.
Mes paroles sont esprit et vie, et l'on n'en doit pas juger par le sens humain.
Il ne faut pas en tirer une vaine complaisance, mais les écouter en silence et les recevoir
avec une humilité profonde et un ardent amour.
2.Le fidèle: Et j'ai dit: Heureux celui que vous instruisez, Seigneur, et à qui vous
enseignez votre loi, afin de lui adoucir les jours mauvais, et de ne pas le laisser sans
consolation sur la terre.
3.Jésus-Christ: C'est moi qui ai, dès le commencement, instruit les prophètes, dit le
Seigneur, et jusqu'à présent même je ne cesse point de parler à tous; mais plusieurs sont
endurcis et sourds à ma voix.
Le plus grand nombre écoute le monde de préférence à Dieu; ils aiment mieux suivre
les désirs de la chair que d'obéir à la volonté divine.
Le monde promet peu de chose et des choses qui passent, et on le sert avec une grande
ardeur; je promets des biens immenses, éternels, et le coeur des hommes reste froid.
Qui me sert et m'obéit en toute chose, avec autant de soin qu'on sert le monde et les
maîtres du monde ?
Rougis, Sidon, dit la mer, et si tu en demandes la cause, écoute, voici pourquoi:
Pour un petit avantage, on entreprend une longue route; et pour la vie éternelle, à peine
en trouve-t'on qui veuillent faire un pas.
On recherche le plus vil gain: on plaide honteusement quelquefois pour une pièce de
monnaie; sur une légère promesse et pour une chose de rien, on ne craint pas de se
fatiguer le jour et la nuit.
4.Mais, ô honte ! pour un bien immuable, pour une récompense infinie, pour un bonheur
suprême et une gloire sans fin, on ne saurait se résoudre à la moindre fatigue.
Serviteur paresseux et toujours murmurant, rougis donc de ce qu'il y ait des hommes
plus ardents à leur perte que tu ne l'es à te sauver, et pour qui la vanité a plus d'attrait
que n'en a pour toi la vérité.
Et cependant ils sont souvent abusés par leurs espérances; tandis que ma promesse ne
trompe point, et que jamais je ne me refuse à celui qui se confie en moi.
Ce que j'ai promis, je le donnerai; ce que j'ai dit, je l'accomplirai, si toutefois l'on
demeure avec fidélité dans mon amour jusqu'à la fin.
C'est moi qui récompense les bons, et qui éprouve fortement les justes.
5.Gravez mes paroles dans votre coeur et méditez-les profondément: car à l'heure de la
tentation, elles vous seront très nécessaires.
Ce que vous n'entendez pas en le lisant, vous le comprendrez au jour de ma visite.
J'ai coutume de visiter mes élus de deux manières: par la tentation et la consolation.
Et tous les jours, je leur donne deux leçons: l'une en les reprenant de leurs défauts,
l'autre en les exhortant à avancer dans la vertu.
Celui qui reçoit ma parole, et qui la méprise, sera jugé par elle au dernier jour.
6.Prière pour demander la grâce de la dévotion
Le fidèle: Seigneur mon Dieu, vous êtes tout mon bien: et que suis-je pour oser vous
parler ?
Je suis le plus pauvre de vos serviteurs, et un abject ver de terre, beaucoup plus pauvre
et plus méprisable que je ne sais et que je n'ose dire.
Souvenez-vous cependant, Seigneur, que je ne suis rien, que je n'ai rien, que je ne puis
rien.
Vous êtes seul bon, juste et saint; vous pouvez tout, vous donnez tout, vous remplissez
tout, hors le pécheur que vous laissez vide.
Souvenez-vous de vos miséricordes, et remplissez mon coeur de votre grâce, vous qui
ne voulez point qu'aucun de vos ouvrages demeure vide.
7.Comment puis-je, en cette misérable vie, porter le poids de moi-même, si votre
miséricorde et votre grâce ne me fortifient ?
Ne détournez pas de moi votre visage; ne différez pas à me visiter: ne me retirez point
votre consolation, de peur que, privée de vous, mon âme ne devienne comme une terre
sans eau.
Seigneur, apprenez-moi à faire votre volonté: apprenez-moi à vivre d'une vie humble et
digne de vous.
Car vous êtes ma sagesse, vous me connaissez dans la vérité, et vous m'avez connu
avant que je fusse au monde, et avant même que le monde fût.
4. Qu'il faut marcher en présence de Dieu dans la vérité et l'humilité
1.Jésus-Christ: Mon fils, marchez devant moi dans la vérité, et cherchez-moi toujours
dans la simplicité de votre coeur.
Celui qui marche devant moi dans la vérité ne craindra nulle attaque, la vérité le
délivrera des calomnies et des séductions des méchants.
Si la vérité vous délivre, vous serez vraiment libre, et peu vous importeront les vains
discours des hommes.
2.Le fidèle: Seigneur, il est vrai: qu'il me soit fait, de grâce, selon votre parole. Que votre
vérité m'instruise, qu'elle me défende, qu'elle me conserve jusqu'à la fin dans la voie du
salut.
Qu'elle me délivre de tout désir mauvais, de toute affection déréglée, et je marcherai
devant vous dans une grande liberté de coeur.
3.Jésus-Christ: La vérité, c'est moi; je vous enseignerai ce qui est bon, ce qui m'est
agréable.
Rappelez-vous vos péchés avec une grande douleur et un profond regret, et ne pensez
jamais être quelque chose à cause du bien que vous faites.
Car, sans la vérité, vous n'êtes qu'un pécheur, sujet à beaucoup de passions et engagé
dans leurs liens.
De vous-même vous tendez toujours au néant; un rien vous ébranle, un rien vous abat,
un rien vous trouble et vous décourage.
Qu'avez-vous donc dont vous puissiez vous glorifier ? et que de motifs, au contraire,
pour vous mépriser vous-même ! car vous êtes beaucoup plus infirme que vous ne
sauriez le comprendre.
4.Que rien de ce que vous faites ne vous paraisse donc quelque chose de grand.
Mais plutôt qu'à vos yeux rien ne soit grand, précieux, admirable, élevé, digne d'être
estimé, loué, recherché, que ce qui est éternel.
Aimez par-dessus toutes choses l'éternelle vérité, et n'ayez jamais que du mépris pour
votre extrême bassesse.
N'appréhendez rien tant, ne blâmez et ne fuyez rien tant que vos péchés et vos vices. Ils
doivent vous affliger plus que toutes les pertes du monde.
Il y en a qui ne marchent pas devant moi avec un coeur sincère; mais guidés par une
certaine curiosité présomptueuse, ils veulent découvrir mes secrets et pénétrer les
profondeurs de Dieu, tandis qu'ils négligent de s'occuper d'eux-mêmes et de leur salut.
Ceux-là tombent souvent, à cause de leur orgueil et de leur curiosité, en de grandes
fautes, parce que je m'oppose à eux.
5.Craignez les jugements de Dieu: redoutez la colère du Tout-Puissant; ne scrutez point
les oeuvres du Très-Haut; mais sondez vos iniquités, le mal que tant de fois vous avez
commis, le bien que vous avez négligé.
Plusieurs mettent toute leur dévotion en des livres, d'autres en des images, d'autres en
des signes et des marques extérieures.
Quelques-uns m'ont souvent dans la bouche, mais peu dans le coeur.
Il en est d'autres qui, éclairés et purifiés intérieurement, ne cessent d'aspirer aux biens
éternels, ont à dégoût les entretiens de la terre, et ne s'assujettissent qu'à regret aux
nécessités de la nature. Ceux-là entendent ce que l'esprit de vérité dit en eux.
Car il leur apprend à mépriser ce qui passe, à aimer ce qui dure éternellement, à oublier
le monde, et à désirer le ciel, le jour et la nuit.
5. Des merveilleux effets de l'amour divin
1.Le fidèle: Je vous bénis, Père céleste, Père de Jésus-Christ, mon Seigneur, parce que
vous avez daigné vous souvenir de moi, pauvre créature.
Ô Père des miséricordes et Dieu de toute consolation, je vous rends grâce de ce que,
tout indigne que j'en suis, vous voulez bien cependant quelquefois me consoler.
Je vous bénis à jamais, et je vous glorifie avec votre Fils unique et l'Esprit consolateur,
dans les siècles des siècles.
Ô Seigneur mon Dieu, saint objet de mon amour ! quand vous descendrez dans mon
coeur, toutes mes entrailles tressailliront de joie.
Vous êtes la gloire et la joie de mon coeur.
Vous êtes mon espérance et mon refuge au jour de la tribulation.
2.Mais parce que mon amour est encore faible, et ma vertu chancelante, j'ai besoin d'être
fortifié et consolé par vous; visitez-moi donc souvent, et dirigez-moi par vos divines
instructions.
Délivrez-moi des passions mauvaises, et retranchez de mon coeur toutes ces affections
déréglées, afin que, guéri et purifié intérieurement, je devienne propre à vous aimer,
fort pour souffrir, ferme pour persévérer.
3.C'est quelque chose de grand que l'amour et un bien au-dessus de tous les biens. Seul il
rend léger ce qui est pesant et fait qu'on peut supporter avec une âme égale toutes les
vicissitudes de la vie.
Il porte son fardeau sans en sentir le poids et rend doux ce qu'il y a de plus amer.
L'amour de Jésus-Christ est généreux; il fait entreprendre de grandes choses et il excite
toujours à ce qu'il y a de plus parfait.
L'amour aspire à s'élever et ne se laisse arrêter par rien de terrestre.
L'amour veut être libre et dégagé de toute affection du monde, afin que ses regards
pénètrent jusqu'à Dieu sans obstacle, afin qu'il ne soit ni retardé par les biens, ni abattu
par les maux du temps.
Rien n'est plus doux que l'amour; rien n'est plus fort, plus élevé, plus étendu, plus
délicieux; il n'est rien de plus parfait ni de meilleur au ciel et sur la terre, parce que
l'amour est né de Dieu, au-dessus de toutes les créatures.
4.Celui qui aime, court, vole; il est dans la joie, il est libre, et rien ne l'arrête.
Il donne tout pour posséder tout, et il possède tout en toutes choses, parce qu'au-dessus
de toutes choses il se repose dans le seul Être souverain, de qui tout bien procède et
découle.
Il ne regarde pas aux dons, mais il s'élève au-dessus de tous les biens, jusqu'à Celui qui
donne.
L'amour souvent ne connaît point de mesure, mais, comme l'eau qui bouillonne, il
déborde de toutes parts.
Rien ne lui pèse, rien ne lui coûte, il tente plus qu'il ne peut, jamais il ne prétexte
l'impossibilité, parce qu'il se croit tout possible et tout permis.
Et à cause de cela il peut tout, et il accomplit beaucoup de choses qui fatiguent et qui
épuisent vainement celui qui n'aime point.
5.L'amour veille sans cesse; dans le sommeil même il ne dort point.
Aucune fatigue ne le lasse, aucuns liens ne l'appesantissent, aucunes frayeurs ne le
troublent; mais tel qu'une flamme vive et pénétrante, il s'élance vers le ciel et s'ouvre
un sûr passage à travers tous les obstacles.
Si quelqu'un aime, il entend ce que dit cette voix.
L'ardeur même d'une âme embrasée s'élève jusqu'à Dieu comme un grand cri: Mon
Dieu ! mon amour ! vous êtes tout à moi, et je suis tout à vous.
6.Dilatez-moi dans l'amour afin que j'apprenne à goûter au fond de mon coeur combien
il est doux d'aimer, et de se fondre et de se perdre dans l'amour.
Que l'amour me ravisse et m'élève au-dessus de moi-même, par la vivacité de ses
transports.
Que je chante le cantique de l'amour, que je vous suive, ô mon bien-aimé, jusque dans
les hauteurs de votre gloire, que toutes les forces de mon âme s'épuisent à vous louer,
et qu'elle défaille de joie et d'amour.
Que je vous aime plus que moi, que je ne m'aime moi-même que pour vous, et que
j'aime en vous tous ceux qui vous aiment véritablement, ainsi que l'ordonne la loi de
l'amour, que nous découvrons dans votre lumière.
7.L'amour est prompt, sincère, pieux, doux, prudent, fort, patient, fidèle, constant,
magnanime, et il ne se recherche jamais; car dès qu'on commence à se rechercher
soi-même, à l'instant on cesse d'aimer.
L'amour est circonspect, humble et droit, sans mollesse, sans légèreté, il ne s'occupe
point de choses vaines, il est sobre, chaste, ferme, tranquille, et toujours attentif à
veiller sur les sens.
L'amour est obéissant et soumis aux supérieurs; il est vil et méprisable à ses yeux.
Dévoué à Dieu sans réserve, et toujours plein de reconnaissance, il ne cesse point de se
confier en lui, d'espérer en lui, lors même qu'il semble en être délaissé, parce qu'on ne
vit point sans douleur dans l'amour.
8.Qui n'est pas prêt à tout souffrir et à s'abandonner entièrement à la volonté de son
bien-aimé, ne sait pas ce que c'est que d'aimer.
Il faut que celui qui aime embrasse avec joie tout ce qu'il y a de plus dur et de plus
amer, pour son bien-aimé, et qu'aucune traverse ne le détache de lui.
6. De l'épreuve du véritable amour
1.Jésus-Christ: Mon fils, votre amour n'est encore ni assez fort ni assez éclairé.
Le fidèle: Pourquoi, Seigneur ?
Jésus-Christ: Parce qu'à la moindre contrariété, vous laissez là l'oeuvre commencée, et
que vous recherchez trop avidement les consolations.
Celui qui aime fortement demeure ferme dans la tentation, et ne cède point aux
suggestions artificieuses de l'ennemi. Dans le mauvais comme dans le bon succès, son
coeur est également à moi.
2.Celui dont l'amour est éclairé considère moins le don de celui qui aime que l'amour de
celui qui donne.
L'affection le touche plus que le bienfait et il préfère son bien-aimé à tout ce qu'il
reçoit de lui.
Celui qui m'aime d'un amour généreux ne se repose pas dans mes dons, mais en moi
par-dessus tous mes dons.
Ne croyez pas tout perdu cependant s'il vous arrive de sentir pour moi ou pour mes
saints moins d'amour que vous ne voudriez.
Cet amour tendre et doux que vous éprouvez quelquefois est l'effet de la présence de la
grâce et une sorte d'avant-goût de la patrie céleste; il n'y faut pas chercher trop d'appui
parce qu'il passe comme il est venu.
Mais combattre les mouvements déréglés de l'âme et mépriser les sollicitations du
démon, c'est un grand sujet de mérite et la marque d'une solide vertu.
3.Ne vous troublez donc point des fantômes, quels qu'ils soient, qui obsèdent votre
imagination.
Conservez une résolution ferme et une intention droite devant Dieu.
Ce n'est point une illusion si quelquefois vous êtes soudain ravi en extase et qu'aussitôt
vous retombiez dans les pensées misérables qui occupent d'ordinaire votre coeur.
Car vous souffrez alors plus que vous n'agissez; et tant qu'elles vous déplaisent et que
vous y résistez, c'est un mérite et non pas une chute.
4.Sachez que l'antique ennemi s'efforce d'étouffer vos bons désirs et de vous éloigner de
tout pieux exercice, du culte des saints, de la méditation de mes douleurs et de ma
mort, du souvenir si utile de vos péchés, de l'attention de veiller sur votre coeur, et du
ferme propos d'avancer dans la vertu.
Il vous suggère mille pensées mauvaises pour vous causer du trouble et de l'ennui,
pour vous détourner de la prière et des lectures saintes.
Une humble confession lui déplaît et, s'il pouvait, il vous éloignerait tout à fait de la
communion.
Ne le craignez point et n'ayez de lui aucune appréhension, quoiqu'il vous tende souvent
des pièges pour vous surprendre.
Rejetez sur lui seul les pensées criminelles et honteuses qu'il vous inspire. Dites-lui:
Va, esprit immonde; rougis, malheureux; il faut que tu sois étrangement pervers pour
me tenir un pareil langage.
Retire-toi de moi, détestable séducteur, tu n'auras jamais en moi aucune part; mais
Jésus sera près de moi comme un guerrier formidable, et tu demeureras confondu.
J'aime mieux mourir et souffrir tous les tourments, que de consentir à ce que tu me
proposes.
Tais-toi donc, ne me parle plus; je ne t'écouterai pas davantage, quoi que tu fasses
pour m'inquiéter. Le Seigneur est ma lumière et mon salut, que craindrais-je ?
Quand une armée se rangerait en bataille contre moi, mon coeur ne craindrait pas.
Le Seigneur est mon aide et mon Rédempteur.
5.Combattez comme un généreux soldat, et si quelquefois vous succombez par fragilité,
reprenez un courage plus grand dans l'espérance d'être soutenu par une grâce plus forte;
et gardez-vous surtout de la vaine complaisance et de l'orgueil.
C'est ainsi que plusieurs s'égarent et tombent dans un aveuglement presque incurable.
Que la chute de ces superbes qui présumaient follement d'eux-mêmes vous soit une
leçon continuelle de vigilance et d'humilité.
7. Qu'il faut cacher humblement les grâces que Dieu nous fait
1.Jésus-Christ: Mon fils, lorsque la grâce vous inspire des mouvements de piété, il est
meilleur pour vous et plus sûr de tenir cette grâce cachée, de ne vous en point élever,
d'en parler peu et de ne pas vous exagérer sa grandeur; mais plutôt de vous mépriser
vous-même et de craindre une faveur dont vous êtes indigne.
Il ne faut pas s'attacher trop à un sentiment qui bientôt peut se changer en un sentiment
contraire.
Quand la grâce vous est donnée, songez combien vous êtes pauvre et misérable sans la
grâce.
Le progrès de la vie spirituelle ne consiste pas seulement à jouir des consolations de la
grâce, mais à en supporter la privation avec humilité, avec abnégation, avec patience, de
sorte qu'alors on ne se relâche point dans l'exercice de la prière, et qu'on n'abandonne
aucune de ses pratiques accoutumées.
Faites, au contraire, tout ce qui est en vous le mieux que vous pourrez, selon vos
lumières, et ne vous négligez pas entièrement vous-même à cause de la sécheresse et de
l'angoisse que vous sentez en votre âme.
2.Car il y en a beaucoup qui, au temps de l'épreuve, tombent aussitôt dans l'impatience et
le découragement.
Cependant la voie de l'homme n'est pas toujours en son pouvoir. C'est à Dieu de
consoler et de donner quand il veut, autant qu'il veut, et à qui il veut, comme il lui
plaît, et non davantage.
Des indiscrets se sont perdus par la grâce même de la dévotion, parce qu'ils ont voulu
faire plus qu'ils ne pouvaient, ne mesurant point leur faiblesse, mais suivant plutôt
l'impétuosité de leur coeur que le jugement de la raison.
Et parce qu'ils ont aspiré, dans leur présomption, à un état plus élevé que celui où Dieu
les voulait, ils ont promptement perdu la grâce.
Ils avaient placé leur demeure dans le ciel, et tout à coup on les a vus pauvres et
délaissés dans leur misère, afin que par l'humiliation et le dénuement ils apprissent à ne
plus tenter de s'élever sur leurs propres ailes, mais à se réfugier sous les miennes.
Ceux qui sont encore nouveaux et sans expérience dans les voies de Dieu peuvent
aisément s'égarer et se briser sur les écueils, s'ils ne se laissent conduire par des
personnes prudentes.
3.Que s'ils veulent suivre leur sentiment plutôt que de croire à l'expérience des autres, le
résultat leur en sera funeste, si toutefois ils s'obstinent dans leur propre sens.
Rarement ceux qui sont sages à leurs yeux se laissent humblement conduire par les
autres.
Il vaut mieux être humble, avec un esprit et des lumières bornés, que de posséder des
trésors de science et de se complaire en soi-même.
Il vaut mieux pour vous avoir peu, que beaucoup dont vous pourriez vous enorgueillir.
Celui-là manque de prudence qui se livre tout entier à la joie, oubliant son indigence
passée, et cette chaste crainte du Seigneur qui appréhende de perdre la grâce reçue.
C'est aussi manquer de vertu que de se laisser aller à un découragement excessif au
temps de l'adversité et de l'épreuve, et d'avoir des pensées et des sentiments indignes de
la confiance qu'on me doit.
4.Celui qui, durant la paix, a trop de sécurité, se trouve souvent pendant la guerre le plus
timide et le plus lâche.
Si ne présumant jamais de vous-même, vous saviez demeurer toujours humble,
modérer et régler les mouvements de votre esprit, vous ne tomberiez pas si vite dans le
péril et le péché.
C'est une pratique sage que de penser, durant la ferveur, à ce qu'on sera dans la
privation de la lumière.
Et quand vous en êtes en effet privé, songez qu'elle peut revenir et que je ne vous l'ai
retirée pour un temps qu'en vue de ma gloire et pour exciter votre vigilance.
Souvent une telle épreuve vous est plus utile que si tout vous succédait constamment
selon vos désirs.
Car pour juger du mérite, on ne doit pas regarder si quelqu'un a beaucoup de visions ou
de consolations, ou s'il est habile dans l'Ecriture sainte, ou s'il occupe un rang élevé,
mais s'il est affermi dans la véritable humilité et rempli de la charité divine; s'il cherche
en tout et toujours uniquement la gloire de Dieu; s'il est bien convaincu de son néant;
s'il a pour lui-même un mépris sincère, et s'il se réjouit plus d'être méprisé des autres et
humilié par eux, que d'en être honoré.
8. Qu'il faut s'anéantir soi-même devant Dieu
1.Le fidèle: Je parlerai au Seigneur mon Dieu, bien que je ne sois que cendre et
poussière. Si je me crois quelque chose de plus, voilà que vous vous élevez contre
moi, et mes iniquités rendent un témoignage vrai et que je ne puis contredire.
Mais si je m'abaisse, si je m'anéantis, et si je me dépouille de toute estime pour
moi-même, et que je rentre dans la poussière dont j'ai été formé, votre grâce
s'approchera de moi et votre lumière sera près de mon coeur; alors tout sentiment
d'estime, même le plus léger, que je pourrais concevoir de moi disparaîtra pour jamais
dans l'abîme de mon néant.
Là vous me montrez à moi-même, vous me faites voir ce que je suis, ce que j'ai été,
jusqu'où je suis descendu: car je ne suis rien, et je ne le savais pas.
Si vous me laissez à moi-même, que suis-je ? Rien qu'infirmité; mais dès que vous
jetez un regard sur moi, à l'instant je deviens fort et je suis rempli d'une joie nouvelle.
Et certes cela me confond d'étonnement que vous me releviez ainsi tout d'un coup et
me preniez avec tant de bonté entre vos bras, moi toujours entraîné par mon propre
poids vers la terre.
2.C'est votre amour qui opère cette merveille, qui me prévient gratuitement, qui ne se
lasse point de me secourir dans les nécessités, qui me préserve des plus grands périls et,
à vrai dire, me délivre de maux innombrables.
Car je me suis perdu en m'aimant d'un amour déréglé; mais en ne cherchant que vous,
en n'aimant que vous, je vous ai trouvé et je me suis retrouvé moi-même, et l'amour
m'a fait rentrer plus avant dans mon néant.
Ô Dieu plein de tendresse ! vous faites pour moi beaucoup plus que je ne mérite, ou
plus que je n'oserais espérer ou demander.
3.Soyez béni, mon Dieu, de ce que tout indigne que je suis de recevoir de vous aucune
grâce, cependant votre bonté généreuse et infinie ne cesse de faire du bien même aux
ingrats et à ceux qui sont le plus éloignés de vous.
Ramenez-nous à vous, afin que nous soyons reconnaissants, humbles, fervents, parce
que vous êtes notre salut, notre vertu et notre force.
9. Qu'il faut rapporter tout à Dieu comme à notre dernière fin
1.Jésus-Christ: Mon fils, je dois être votre fin suprême et dernière, si véritablement vous
désirez être heureux.
Cette vue purifiera vos affections, qui s'abaissent trop souvent jusqu'à vous et aux
créatures.
Car si vous vous recherchez en quelque chose, aussitôt vous tombez dans la langueur
et la sécheresse.
Rapportez donc principalement tout à moi, parce que c'est moi qui vous ai tout donné.
Considérez chaque bien comme découlant du souverain bien, et songez que dès lors ils
doivent tous remonter à moi comme à leur origine.
2.En moi comme dans une source intarissable, le petit et le grand, le pauvre et le riche
puisent l'eau vive, et ceux qui me servent volontairement et de coeur recevront grâce
sur grâce.
Mais celui qui cherchera sa gloire hors de moi, ou sa jouissance dans un autre bien que
moi, sa joie ne sera ni vraie ni solide, et son coeur, toujours à la gêne, toujours à
l'étroit, ne trouvera que des angoisses.
Ne vous attribuez donc aucun bien, et n'attribuez à nul homme sa vertu; mais rendez
tout à Dieu, sans qui l'homme n'a rien.
C'est moi qui vous ai tout donné et je veux que vous vous donniez à moi tout entier,
j'exige avec une extrême rigueur les actions de grâce qui me sont dues.
3.Ceci est la vérité qui dissipe la vanité de la gloire.
Là où pénètrent la grâce céleste et la vraie charité, il n'y a plus de place pour
l'amour-propre ni pour l'envie, qui torturent le coeur.
Car l'amour divin subjugue tout et agrandit toutes les forces de l'âme.
Si vous écoutez la sagesse, vous ne vous réjouirez qu'en moi, vous n'espérerez qu'en
moi, parce que nul n'est bon que Dieu seul, à qui, en tout et par-dessus tout, est due à
jamais la louange et la bénédiction.
10. Qu'il est doux de servir Dieu et de mépriser le monde
1.Le fidèle: Je vous parlerai encore, Seigneur, et je ne me tairai point. Je dirai à mon
Dieu, mon Seigneur et mon Roi, assis dans les hauteurs des cieux:
Oh ! quelle abondance de douceur vous avez réservée pour ceux qui vous craignent.
Et qu'est-ce donc pour ceux qui vous aiment, pour ceux qui vous servent de tout leur
coeur ?
Elles sont vraiment ineffables, les délices dont vous inondez ceux qui vous aiment,
quand leur âme vous contemple.
Vous m'avez montré principalement en ceci toute la tendresse de votre amour; je n'étais
pas, et vous m'avez créé; j'errais loin de vous, vous m'avez ramené pour vous servir, et
vous m'avez commandé de vous aimer.
2.Ô source d'amour éternel, que dirai-je de vous ?
Comment pourrai-je vous oublier, vous qui avez daigné vous souvenir de moi lorsque,
déjà épuisé, consumé, je penchais vers la mort ?
Votre miséricorde envers votre serviteur a passé toute espérance, et vous avez répandu
sur lui votre grâce et votre amour bien au-delà de tout ce qu'il pouvait mériter.
Que vous rendrai-je pour une telle faveur ? car il n'est pas donné à tous de tout quitter,
de renoncer au siècle pour embrasser la vie religieuse.
Est-ce faire beaucoup que de vous servir, vous que doivent servir toutes les créatures ?
Cela doit me sembler peu de chose; mais ce qui me paraît grand et merveilleux, c'est
que vous daigniez agréer le service d'une créature si pauvre et si misérable, et
l'admettre parmi les serviteurs que vous aimez.
3.Tout ce que j'ai, tout ce que je puis consacrer à votre service est à vous.
Et néanmoins, prenant pour ainsi dire ma place, vous me servez plus que moi-même je
ne vous sers.
Voilà que le ciel et la terre, que vous avez créés pour le service de l'homme, sont
devant vous, et chaque jour ils exécutent tout ce que vous leur avez commandé.
C'est peu encore; vous avez préparé pour l'homme le ministère même des anges.
Mais ce qui surpasse tout, vous avez daigné le servir vous-même, et vous avez promis
de vous donner à lui.
4.Que vous rendrai-je pour tant de biens ? Ah ! si je pouvais vous servir tous les jours de
ma vie ! si je pouvais même un seul jour vous servir dignement !
Il est bien vrai que vous êtes digne d'être servi universellement, digne de tout honneur
et d'une louange éternelle.
Vous êtes vraiment mon Seigneur et je suis votre pauvre serviteur, qui doit vous servir
de toutes mes forces et ne me lasser jamais de vous louer. Je le veux ainsi, je le désire
ainsi; daignez suppléer vous-même à tout ce qui me manque.
5.C'est un grand honneur, une grande gloire de vous servir, et de mépriser tout à cause de
vous.
Car ils recevront des grâces abondantes, ceux qui se courbent sous votre joug très saint.
Ils seront abreuvés de la délectable consolation de l'Esprit-Saint, ceux qui pour votre
amour auront rejeté tous les plaisirs des sens.
Ils jouiront d'une grande liberté d'esprit, ceux qui pour la gloire de votre nom seront
entrés dans la voie étroite et auront renoncé à toutes les sollicitudes du monde.
6.Ô aimable et douce servitude de Dieu, dans laquelle l'homme retrouve la vraie liberté
et la sainteté !
Ô saint assujettissement de la vie religieuse qui rend l'homme agréable à Dieu, égal aux
anges, terrible aux démons, respectable à tous les fidèles !
Ô esclavage digne à jamais d'être désiré, embrassé, puisqu'il nous mérite le souverain
bien et nous assure une joie éternelle.
11. Qu'il faut examiner et modérer les désirs du coeur
1.Jésus-Christ: Mon fils, il faut que vous appreniez beaucoup de choses que vous ne
savez pas encore assez.
2.Le fidèle: Et quoi, Seigneur ?
3.Jésus-Christ: Vous devez soumettre entièrement vos désirs à ma volonté, ne point vous
aimer vous-même, et ne rechercher en tout que ce qui me plaît.
Souvent vos désirs s'enflamment et vous emportent impétueusement, mais considérez
si cette ardeur a ma gloire pour motif ou votre intérêt propre.
Si c'est moi que vous avez en vue, vous serez content, quoi que j'ordonne; mais si
quelque secrète recherche de vous-même se cache au fond de votre coeur, voilà ce qui
vous abat et vous trouble.
4.Prenez donc garde de vous trop attacher à des désirs sur lesquels vous ne m'avez point
consulté, de peur qu'ensuite vous ne veniez à vous repentir, ou que vous n'éprouviez du
dégoût pour ce qui vous avait plu d'abord, et que vous aviez cru le meilleur.
Car tout mouvement qui paraît bon ne doit pas être aussitôt suivi; de même qu'on ne
doit pas non plus céder sur-le-champ à ses répugnances.
Quelquefois il est à propos de modérer le zèle le plus saint et les meilleurs désirs, de
peur qu'ils ne préoccupent et ne distraient votre esprit, ou qu'en les suivant
indiscrètement vous ne causiez du scandale aux autres; ou qu'enfin l'opposition que
vous y trouverez ne vous jette vous-même dans le trouble et dans l'abattement.
5.Il faut aussi quelquefois user de violence et résister aux convoitises des sens avec une
grande force, sans prendre garde à ce que veut la chair et à ce qu'elle ne veut pas; et
travailler surtout à la soumettre à l'esprit malgré elle.
Il faut la châtier et l'asservir jusqu'à ce que, prête à tout, elle ait appris à se contenter de
peu, à aimer les choses simples et à ne jamais se plaindre de rien.
12. Qu'il faut s'exercer à la patience, et lutter contre ses passions
1.Le fidèle: Seigneur mon Dieu, je vois combien la patience m'est nécessaire; car cette
vie est pleine de contradictions.
Elle ne peut jamais être exempte de douleur et de guerre, quoi que je fasse pour avoir
la paix.
2.Jésus-Christ: Oui, mon fils; mais je ne veux pas que vous cherchiez une paix telle que
vous n'ayez ni tentations à vaincre, ni contrariétés à souffrir.
Croyez au contraire avoir trouvé la paix lorsque vous serez exercé par beaucoup de
tribulations et éprouvé par beaucoup de traverses.
Si vous dites que vous ne pouvez supporter tant de souffrances, comment
supporterez-vous le feu du purgatoire ?
De deux maux il faut choisir le moindre; afin donc d'éviter des supplices éternels,
efforcez-vous d'endurer pour Dieu, avec patience, les maux présents.
Pensez-vous que les hommes du siècle n'aient rien ou que peu de choses à souffrir ?
C'est ce que vous ne trouverez pas, même en ceux qui semblent environnés de plus de
délices.
3.Mais ils ont, dites-vous, des plaisirs en abondance; ils suivent toutes leurs volontés et
ainsi ils sentent peu le poids de leurs maux.
Soit, je veux qu'ils aient tout ce qu'ils désirent; combien cela durera-t'il ?
Voilà que les riches du siècle s'évanouiront comme la fumée, et il ne restera pas même
un souvenir de leurs joies passées.
Et durant leur vie même, ils ne s'y reposent pas sans amertume, sans ennui et sans
crainte.
Car souvent, là même où ils se promettaient la joie, ils rencontrent le châtiment et la
douleur, et avec justice, puisqu'il est juste que l'amertume et l'ignominie accompagnent
les plaisirs qu'ils cherchent dans le désordre.
4.Oh ! que tous ces plaisirs sont courts, qu'ils sont faux, criminels, honteux !
Et cependant des malheureux, enivrés et aveuglés, ne le comprennent point; mais
semblables à des animaux sans raison, ils exposent leur âme à la mort pour quelques
jouissances misérables dans une vie qui va finir.
Pour vous, mon fils, ne suivez pas vos convoitises, et détachez-vous de votre volonté.
Mettez vos délices dans le Seigneur, et il vous accordera ce que votre coeur demande.
5.Si vous voulez goûter une véritable joie et des consolations plus abondantes, méprisez
toutes les choses du monde, repoussez toutes les joies terrestres; et je vous bénirai, je
verserai sur vous mes inépuisables consolations.
Plus vous renoncerez à celles que donnent les créatures, plus les miennes seront douces
et puissantes.
Mais vous ne les goûterez point sans avoir auparavant ressenti quelque tristesse, sans
avoir travaillé, combattu.
Une mauvaise habitude vous arrêtera; mais vous la vaincrez par une meilleure.
La chair murmurera; mais elle sera contenue par la ferveur de l'esprit.
L'antique serpent vous sollicitera, vous exercera; mais vous le mettrez en fuite par la
prière; et en vous occupant surtout d'un travail utile, vous lui fermerez l'entrée de votre
âme.
13. Qu'il faut obéir humblement, à l'exemple de Jésus-Christ
1.Jésus-Christ: Mon fils, celui qui cherche à se soustraire à l'obéissance se soustrait à la
grâce; et celui qui veut posséder seul quelque chose perd ce qui est à tous.
Quand on ne se soumet pas volontairement et de bon coeur à son supérieur, c'est une
marque que la chair n'est pas encore pleinement assujettie, mais que souvent elle
murmure et se révolte.
Apprenez donc à obéir avec promptitude à vos supérieurs si vous désirez dompter votre
chair.
Car l'ennemi du dehors est bien plus vite vaincu quand l'homme n'a pas la guerre
au-dedans de soi.
L'ennemi le plus terrible et le plus dangereux pour votre âme, c'est vous, lorsque vous
êtes divisé en vous-même.
Il faut que vous appreniez à vous mépriser sincèrement si vous voulez triompher de la
chair et du sang.
L'amour désordonné que vous avez encore pour vous-même, voilà ce qui vous fait
craindre de vous abandonner sans réserve à la volonté des autres.
2.Est-ce donc cependant un si grand effort que toi, poussière et néant, tu te soumettes à
cause de Dieu, lorsque moi le Tout-Puissant, moi le Très-Haut, qui ai tout fait de rien,
je me suis soumis humblement à l'homme à cause de toi ?
Je me suis fait le plus humble et le dernier de tous afin que mon humilité t'apprît à
vaincre ton orgueil.
Poussière, apprends à obéir, apprends à t'humilier, terre et limon, à t'abaisser sous les
pieds de tout le monde.
Apprends à briser ta volonté et à ne refuser aucune dépendance.
3.Enflamme-toi de zèle contre toi-même et ne souffre pas que le moindre orgueil vive en
toi; mais fais-toi si petit et mets-toi si bas que tout le monde puisse marcher sur toi et
te fouler aux pieds comme la boue des places publiques.
Fils du néant, qu'as-tu à te plaindre ? Pécheur couvert d'ignominie, qu'as-tu à répondre,
quelque reproche qu'on t'adresse, toi qui as tant de fois offensé Dieu, tant de fois
mérité l'enfer ?
Mais ma bonté t'a épargné parce que ton âme a été précieuse devant moi; mais je ne t'ai
point délaissé afin que tu connusses mon amour et que mes bienfaits ne cessassent
jamais d'être présents à ton coeur, que tu fusses toujours prêt à te soumettre, à
t'humilier et à souffrir les mépris et la patience.