L'énigme
de Gaspar Hauser
Par Florence Migneault
En 1975, Werner Herzog
tournait L'énigme
Kaspar Hauser (Jeder fur sich und Gott gegen alle),
mettant en vedette Bruno
S., alors qu'un siècle auparavant, Paul Verlaine
écrivait Gaspar Hauser chante. Qu'est-ce qui peut inspirer,
à cent ans d'intervalle, un cinéaste allemand et un poète
français? La réponse réside dans une énigme troublante que
l'on compare parfois à la Légende du Masque de Fer.
Je suis venu, calme orphelin
Riche de mes seuls yeux tranquilles,
Vers les hommes des grandes villes :
Ils ne m'ont pas trouvé malin.
Gaspar Hauser
chante, Paul Verlaine
C'est ainsi que débute l'étrange histoire de Gaspar Hauser
le 26 mai 1828. C'est par cette journée de Pentecôte que
deux artisans de Nuremberg, discutant à la
Place du Suif, voient apparaître un jeune garçon étrange.
L'adolescent est mal vêtu et sa démarche laisse croire qu'il
est ivre, ou complètement idiot. Il tend aux deux compagnons
une lettre adressée à Monsieur le capitaine commandant
le 4e escadron du régiment dechevau-légers.
Le jeune homme demande à être conduit chez le capitaine
de la cavalerie. On l'amène plutôt au poste de police de
la Porte-Neuve. Puis, en compagnie des artisans et de policiers,
il se rend chez M. von Wessening, le capitaine des chevau-légers.
Les hommes prennent alors connaissance du contenu de la
lettre. Elle contient deux billets.
Le premier des deux messages, écrit par l'homme qui a élevé
Gaspar Hauser, débute ainsi :« Très honoré monsieur
le capitaine, Je vous envoie un garçon qui voudrait servir
fidèlement son roi et qui l'a demandé. Ce garçon m'a été
confié en 1812, le 7 octobre, et je suis moi même un pauvre
journalier, j'ai moi-même dix-enfants, j'ai moi-même assez
de peine à me tirer d'affaire, et sa mère m'a confié l'enfant
pour son éducation ».
L'auteur du billet avoue qu'il n'a jamais déclaré l'enfant
aux autorités et qu'il ne lui a jamais permis de sortir
de sa maison. En fait, Gaspar était retenu prisonnier et
n'avait aucun contact avec l'extérieur. Le désir le plus
profond de Gaspar est de devenir cavalier, comme son père.
Désespéré, l'ouvrier a abandonné Gaspar Hauser aux abords
de Nuremberg, avec une lettre destinée au capitaine des
chevaux-légers. La peur de représailles le conduit à garder
l'anonymat
Quant au second billet, il s'agit d'une lettre de la mère
de Gaspar Hauser. Il fournit la date de naissance du jeune
homme et contient une requête :« Si vous l'élevez,
son père a été un chevau-léger. Quand il aura 17 ans, envoyez-le
à Nuremberg au 6e régiment de Schowilsche. Là
aussi son père a été. »
La lettre crée un mystère immédiat autour des origines
de Gaspar Hauser. Cependant le capitaine de la cavalerie
remarque que les deux billets sont écrits d'une même main.
Flairant l'arnaque, il envoie l'adolescent sous les verrous.
Le séjour de Gaspar Hauser dans la prison de Nuremberg
permet au geôlier d'observer attentivement son jeune visiteur.
Celui-ci a une allure enfantine. Il n'est pas paysan :
ses mains roses ne trahissent pas les labeurs du travail
de la terre. Il est pauvre, maladroit et semble peu intelligent.
Il sait toutefois écrire son nom. En prison, il ne mange
que du pain et de l'eau et ne démontre aucune pudeur.
Intrigué, le maire de la ville prend en charge le jeune
homme. Peu à peu, celui-ci retrouve la parole et peut enfin
raconter son histoire. Il a passé toute sa vie emprisonné,
nourri par un « homme noir » qu'il ne voyait que
furtivement. Il a appris à écrire son nom et à dire « je
veux être chevau-léger comme mon père » peu avant avoir
été abandonné sur la route de Nuremberg.
Cette histoire surprenante fait rapidement le tour de la
ville et fait couler beaucoup d'encre. Immédiatement, Gaspar
Hauser devient l'objet de la curiosité. Il est l'orphelin
de l'Europe, pour reprendre le titre d'un ouvrage qu'Octave
Aubry lui a dédié.
Le maire de Nuremberg confie alors Gaspar au docteur Daumer,
un jeune universitaire. Celui-ci a pour mission d'éduquer
l'adolescent. C'est chez lui que se produira le premier
incident étrange qui marque la vie publique de Gaspar. En
effet, le jeune homme est trouvé, le 17 octobre 1828, inanimé,
une blessure au front. Il prétend avoir été attaqué par
un « homme noir ».
Gaspar est rapidement changé de famille. Il emménage chez
le conseiller municipal de Biherbach. Une enquête policière
est ouverte. Elle ne débouchera pas. Cependant, à la suite
de l'attaque, les rumeurs les plus folles sur les origines
de Gaspar vont commencer à circuler à travers l'Europe entière.
Le mythe de la naissance noble de l'adolescent se développe
alors.
On dit que le jeune homme appartient à la Maison de Bade.
C'est une grande ressemblance entre Gaspar et les membres de cette
famille qui a permis à des visiteurs de faire le rapprochement.
Il serait le fils de la duchesse Stéphanie dont le bébé
est mort en 1812, l'année même où Gaspar a été recueilli
par « l'homme noir ». Une histoire sordide entoure
la mort de l'héritier de la famille de Bade. En effet,
l'enfant de la duchesse était l'héritier légitime du duché
de Bade. Cependant, sa disparition permettait à la comtesse
de Hochberg d'accéder au trône. Plusieurs ont prétendu que
la comtesse était derrière le décès inexplicable du nouveau-né.
Elle aurait substitué le bébé parl'enfant, mort, d'une
paysanne. L'héritier de la couronne aurait alors été confié
à un soldat qui avait la charge de sa captivité. Tout dans
l'histoire de Gaspar Hauser permet de croire qu'il est l'héritier
du duché de Bade. À la mort du duc Karl, en 1830, la rumeur
se fait de plus en plus insistanteŠ
C'est un mois plus tard, le 3 avril 1830, que surgit un
nouveau drame. Une fois de plus, Gaspar est attaqué, au
fusil cette fois-ci. Les mercenaires de la comtesse de Hochberg
sont-ils derrière cet attentat? Une enquête est entamée,
cependant sans résultats probants. Les policiers émettent
toutefois certaines réserves face à l'attentat. Ils le trouvent
douteux et suggèrent que l'adolescent aurait retourné l'arme
vers lui . À la suite de cet événement mystérieux, le garçon
change de famille pour la troisième fois. Il se retrouve
chez le baron von Tucher.
Gaspar y reste peu de temps. En effet, le comte de Stanhorpe,
un anglais, est intrigué par l'histoire mystérieuse du jeune
garçon. Il le prend alors sous sa protection et le questionne
sur ses origines. Le comte en arrive à la conclusion que
l'adolescent est hongrois et qu'il n'est pas le descendant
de la maison de Bade.
Malgré tout, une enquête est alors menée, à la demande
du roi de Bavière, par un des plus fins limiers de l'époque,
Anselm Ritter von Fueurbach. Le détective croit à la sincérité
du jeune orphelin et à l'histoire de sa captivité mystérieuse.
C'est pourquoi il atteste la thèse d'une descendance noble.
Il prétend que c'est par intérêt que la comtesse Hochberg
a enlevé Gaspar et l'a écarté du trône de Bade. Chose étrange :
le criminaliste meurt empoisonné moins d'un an après la
fin de son enquête. On prétend qu'il avait trouvé une preuve
démontrant de façon infaillible le complot monté contre
Gaspar Hauser. Les rumeurs persistent, mais l'affaire n'est
toujours pas résolue.
Cette même année 1833, Gaspar est victime d'un troisième
attentat. Alors installé dans la petite ville d'Ansbach où il coule
une existence paisible, Gaspar entraîne un voisin dans un
parc. Cherchant quelque chose, éloigné de son compagnon,
Gaspar y est attaqué. Un « homme noir » lui plante
profondément un couteau dans la poitrine et au c¦ur. Cette
blessure est fatale. Gaspar en meurt quelques jours plus
tard. Sur son lit de mort, il murmure quelques mots qui
nourrissent la mystère de son identité : « J'ai
demandé pardon à tous les gens que je connais. Pourquoi
ne serais-je pas tranquille? Pourquoi aurais-je de la haine
ou de la colère? Personne ne m'a rien fait Š»
Le destin fabuleux de ce jeune homme simple s'est conclu
de façon tragique. Au cours des années qui suivirent, cette
affaire non-résolue a suscité l'intérêt d'un
grand nombre hommes et femmes. En effet, historiens,
journalistes, chanteurs,
auteurs dramatiques et même danseurs ont depuis tenté de
percer le mystère de l'identité et de la mort de Gaspar
Hauser. Plusieurs pistes ont été explorées : celle
de l'imposture ou du complot de la comtesse Hochberg, celle
du suicide ou de l'attentat. D'autres encore prétendent
que Gaspar Hauser était un simple d'esprit incompris et
incapable d'entrer en rapport avec autrui. Encore aujourd'hui,
l'énigme demeure entièreŠ
de Gaspar Hauser
Par Florence Migneault
En 1975, Werner Herzog
tournait L'énigme
Kaspar Hauser (Jeder fur sich und Gott gegen alle),
mettant en vedette Bruno
S., alors qu'un siècle auparavant, Paul Verlaine
écrivait Gaspar Hauser chante. Qu'est-ce qui peut inspirer,
à cent ans d'intervalle, un cinéaste allemand et un poète
français? La réponse réside dans une énigme troublante que
l'on compare parfois à la Légende du Masque de Fer.
Je suis venu, calme orphelin
Riche de mes seuls yeux tranquilles,
Vers les hommes des grandes villes :
Ils ne m'ont pas trouvé malin.
Gaspar Hauser
chante, Paul Verlaine
C'est ainsi que débute l'étrange histoire de Gaspar Hauser
le 26 mai 1828. C'est par cette journée de Pentecôte que
deux artisans de Nuremberg, discutant à la
Place du Suif, voient apparaître un jeune garçon étrange.
L'adolescent est mal vêtu et sa démarche laisse croire qu'il
est ivre, ou complètement idiot. Il tend aux deux compagnons
une lettre adressée à Monsieur le capitaine commandant
le 4e escadron du régiment dechevau-légers.
Le jeune homme demande à être conduit chez le capitaine
de la cavalerie. On l'amène plutôt au poste de police de
la Porte-Neuve. Puis, en compagnie des artisans et de policiers,
il se rend chez M. von Wessening, le capitaine des chevau-légers.
Les hommes prennent alors connaissance du contenu de la
lettre. Elle contient deux billets.
Le premier des deux messages, écrit par l'homme qui a élevé
Gaspar Hauser, débute ainsi :« Très honoré monsieur
le capitaine, Je vous envoie un garçon qui voudrait servir
fidèlement son roi et qui l'a demandé. Ce garçon m'a été
confié en 1812, le 7 octobre, et je suis moi même un pauvre
journalier, j'ai moi-même dix-enfants, j'ai moi-même assez
de peine à me tirer d'affaire, et sa mère m'a confié l'enfant
pour son éducation ».
L'auteur du billet avoue qu'il n'a jamais déclaré l'enfant
aux autorités et qu'il ne lui a jamais permis de sortir
de sa maison. En fait, Gaspar était retenu prisonnier et
n'avait aucun contact avec l'extérieur. Le désir le plus
profond de Gaspar est de devenir cavalier, comme son père.
Désespéré, l'ouvrier a abandonné Gaspar Hauser aux abords
de Nuremberg, avec une lettre destinée au capitaine des
chevaux-légers. La peur de représailles le conduit à garder
l'anonymat
Quant au second billet, il s'agit d'une lettre de la mère
de Gaspar Hauser. Il fournit la date de naissance du jeune
homme et contient une requête :« Si vous l'élevez,
son père a été un chevau-léger. Quand il aura 17 ans, envoyez-le
à Nuremberg au 6e régiment de Schowilsche. Là
aussi son père a été. »
La lettre crée un mystère immédiat autour des origines
de Gaspar Hauser. Cependant le capitaine de la cavalerie
remarque que les deux billets sont écrits d'une même main.
Flairant l'arnaque, il envoie l'adolescent sous les verrous.
Le séjour de Gaspar Hauser dans la prison de Nuremberg
permet au geôlier d'observer attentivement son jeune visiteur.
Celui-ci a une allure enfantine. Il n'est pas paysan :
ses mains roses ne trahissent pas les labeurs du travail
de la terre. Il est pauvre, maladroit et semble peu intelligent.
Il sait toutefois écrire son nom. En prison, il ne mange
que du pain et de l'eau et ne démontre aucune pudeur.
Intrigué, le maire de la ville prend en charge le jeune
homme. Peu à peu, celui-ci retrouve la parole et peut enfin
raconter son histoire. Il a passé toute sa vie emprisonné,
nourri par un « homme noir » qu'il ne voyait que
furtivement. Il a appris à écrire son nom et à dire « je
veux être chevau-léger comme mon père » peu avant avoir
été abandonné sur la route de Nuremberg.
Cette histoire surprenante fait rapidement le tour de la
ville et fait couler beaucoup d'encre. Immédiatement, Gaspar
Hauser devient l'objet de la curiosité. Il est l'orphelin
de l'Europe, pour reprendre le titre d'un ouvrage qu'Octave
Aubry lui a dédié.
Le maire de Nuremberg confie alors Gaspar au docteur Daumer,
un jeune universitaire. Celui-ci a pour mission d'éduquer
l'adolescent. C'est chez lui que se produira le premier
incident étrange qui marque la vie publique de Gaspar. En
effet, le jeune homme est trouvé, le 17 octobre 1828, inanimé,
une blessure au front. Il prétend avoir été attaqué par
un « homme noir ».
Gaspar est rapidement changé de famille. Il emménage chez
le conseiller municipal de Biherbach. Une enquête policière
est ouverte. Elle ne débouchera pas. Cependant, à la suite
de l'attaque, les rumeurs les plus folles sur les origines
de Gaspar vont commencer à circuler à travers l'Europe entière.
Le mythe de la naissance noble de l'adolescent se développe
alors.
On dit que le jeune homme appartient à la Maison de Bade.
C'est une grande ressemblance entre Gaspar et les membres de cette
famille qui a permis à des visiteurs de faire le rapprochement.
Il serait le fils de la duchesse Stéphanie dont le bébé
est mort en 1812, l'année même où Gaspar a été recueilli
par « l'homme noir ». Une histoire sordide entoure
la mort de l'héritier de la famille de Bade. En effet,
l'enfant de la duchesse était l'héritier légitime du duché
de Bade. Cependant, sa disparition permettait à la comtesse
de Hochberg d'accéder au trône. Plusieurs ont prétendu que
la comtesse était derrière le décès inexplicable du nouveau-né.
Elle aurait substitué le bébé parl'enfant, mort, d'une
paysanne. L'héritier de la couronne aurait alors été confié
à un soldat qui avait la charge de sa captivité. Tout dans
l'histoire de Gaspar Hauser permet de croire qu'il est l'héritier
du duché de Bade. À la mort du duc Karl, en 1830, la rumeur
se fait de plus en plus insistanteŠ
C'est un mois plus tard, le 3 avril 1830, que surgit un
nouveau drame. Une fois de plus, Gaspar est attaqué, au
fusil cette fois-ci. Les mercenaires de la comtesse de Hochberg
sont-ils derrière cet attentat? Une enquête est entamée,
cependant sans résultats probants. Les policiers émettent
toutefois certaines réserves face à l'attentat. Ils le trouvent
douteux et suggèrent que l'adolescent aurait retourné l'arme
vers lui . À la suite de cet événement mystérieux, le garçon
change de famille pour la troisième fois. Il se retrouve
chez le baron von Tucher.
Gaspar y reste peu de temps. En effet, le comte de Stanhorpe,
un anglais, est intrigué par l'histoire mystérieuse du jeune
garçon. Il le prend alors sous sa protection et le questionne
sur ses origines. Le comte en arrive à la conclusion que
l'adolescent est hongrois et qu'il n'est pas le descendant
de la maison de Bade.
Malgré tout, une enquête est alors menée, à la demande
du roi de Bavière, par un des plus fins limiers de l'époque,
Anselm Ritter von Fueurbach. Le détective croit à la sincérité
du jeune orphelin et à l'histoire de sa captivité mystérieuse.
C'est pourquoi il atteste la thèse d'une descendance noble.
Il prétend que c'est par intérêt que la comtesse Hochberg
a enlevé Gaspar et l'a écarté du trône de Bade. Chose étrange :
le criminaliste meurt empoisonné moins d'un an après la
fin de son enquête. On prétend qu'il avait trouvé une preuve
démontrant de façon infaillible le complot monté contre
Gaspar Hauser. Les rumeurs persistent, mais l'affaire n'est
toujours pas résolue.
Cette même année 1833, Gaspar est victime d'un troisième
attentat. Alors installé dans la petite ville d'Ansbach où il coule
une existence paisible, Gaspar entraîne un voisin dans un
parc. Cherchant quelque chose, éloigné de son compagnon,
Gaspar y est attaqué. Un « homme noir » lui plante
profondément un couteau dans la poitrine et au c¦ur. Cette
blessure est fatale. Gaspar en meurt quelques jours plus
tard. Sur son lit de mort, il murmure quelques mots qui
nourrissent la mystère de son identité : « J'ai
demandé pardon à tous les gens que je connais. Pourquoi
ne serais-je pas tranquille? Pourquoi aurais-je de la haine
ou de la colère? Personne ne m'a rien fait Š»
Le destin fabuleux de ce jeune homme simple s'est conclu
de façon tragique. Au cours des années qui suivirent, cette
affaire non-résolue a suscité l'intérêt d'un
grand nombre hommes et femmes. En effet, historiens,
journalistes, chanteurs,
auteurs dramatiques et même danseurs ont depuis tenté de
percer le mystère de l'identité et de la mort de Gaspar
Hauser. Plusieurs pistes ont été explorées : celle
de l'imposture ou du complot de la comtesse Hochberg, celle
du suicide ou de l'attentat. D'autres encore prétendent
que Gaspar Hauser était un simple d'esprit incompris et
incapable d'entrer en rapport avec autrui. Encore aujourd'hui,
l'énigme demeure entièreŠ